La Saint-Barthélemy
Traumatisme historique, la Saint-Barthélemy reste un des événements majeurs les plus dramatiques et les plus controversés de l'histoire de France. Cette nuit du 23 au 24 août 1572 marque le début de la quatrième guerre de religion. L'événement s'inscrit dans un contexte particulier de troubles internes qui ravagent la vie du royaume dans la seconde moitié du XVIe siècle. Au catholicisme s'oppose le protestantisme, opposition qui débouche sur une guerre civile.
La religion prétendue réformée, comme on l'a nomme dans les actes royaux, apparaît en 1517 lorsque les étudiants du théologien Martin Luther affichent sur les portes de l'église de Wittenberg une lettre constituée de 95 thèses, constat des dérives de l'Église catholique. Or, le développement du protestantisme dans le royaume franc est particulièrement important, les premières réactions datant du règne de François Ier qui considère la Réforme comme néfaste à son autorité. Ainsi, en 1545, 3000 Vaudois sont massacrés par ordre du roi. Malgré la répression, le protestantisme connait un essor considérable, notamment en milieu urbain, et le roi ne dispose pas d'une administration capable de lutter contre ce fléaux. De grands personnages de la cour se convertissent, le prince du Condé pour n'en citer qu'un.
Les causes du conflit sont multiples. C'est tout d'abord l'affaiblissement de l'autorité royale depuis la mort du roi Henri II. Ses fils François II et Charles IX sont trop jeunes pour régner et ne peuvent empêcher les français de s'entredéchirer. Entre eux, la reine-mère Catherine de Médicis hésite entre tolérance et répression et cette situation entraine des conflits au sein même de la cour entre les grandes familles aristocrates qui cherchent à s'imposer pour contrôler le pouvoir royal : les Guise qui dirigent le parti catholique, les Montmorency ou les Bourbon, héritiers directs de Saint-Louis. Les problèmes politiques n'arrangent donc pas les questions religieuses qui se posent nous l'avons vus au même moment.
La première guerre de religion est déclarée le 1er mars 1562 par François de Guise avec le massacre de la ville protestante de Wassy. La paix sera imposée par la reine-mère l'année suivante par l'Édit d'Amboise qui organise avec son fils Charles IX un tour de France afin de le présenter à son peuple. La seconde guerre de religion débute quand à elle en 1567 dans un contexte conflictuel entre le prince de Condé et le jeune frère du roi, Henri duc d'Anjou. La paix de Longjumeau est signé en mars 1668, une paix vite oubliée puisqu'en juillet commence la troisième guerre de religion qui se clôt en 1570 par l'Édit de Saint-Germain quand Coligny réussit à bloquer la route du Midi aux catholiques. La paix accorde aux protestants une liberté de culte limitée à certains lieux précis.
Les guerres, aussi meurtrières qu'indécises et conclues par des édits de pacification immédiatement récusés, se succèdent et installent le pays dans la violence. En 1572, les tensions sont extrêmes et l'idéal néoplatonicien d'harmonie et de paix cher au jeune Charles IX semble ignoré. Le massacre parisien, ville très catholique qui se juge mal-aimé de son roi, est un fiasco total pour celui-ci et une terrible épreuve pour les protestants qui se mettent à douter de leur élection divine. De l'arquebusade de Coligny au « débordement du populaire », Paris plonge dans une semaine de violences extrêmes. Affaiblis mais refusant de s'avouer vaincus, les réformés se présentent désormais comme les défenseurs de la souveraineté populaire face à un pouvoir royal jugé tyrannique.
La paix de Saint-Germain a mis fin aux combats de la troisième guerre de religion mais le royaume n'a pas recouvré le calme. De nombreuses émeutes éclatent un peu partout dans le royaume et l'affaire de la Croix de Gastine alourdit le contentieux entre le roi et la capitale. Une croix est en effet élevée à l'emplacement de la maison rasée de trois huguenots condamnés durant la guerre. Or l'édit de Saint-Germain interdit tout monument commémorant l'exécution d'une personne dans un soucis d'apaisement. Une brutale émeute catholique se déclenche le 20 décembre 1571 quand la croix est retirée, entretenant un climat insurrectionnel à Paris. Or, le 18 août 1572, la ville assiste au mariage de Marguerite de Valois dit la Reine Margot, sœur du roi, avec son cousin Henri de Navarre (futur Henri IV) dans un climat lourd de menace. Il doit sceller l'alliance entre deux grands lignages et le rapprochement des catholiques et des réformés, chose qui scandalise les parisiens.
Le 22 août, au cœur de Paris, l'amiral Gaspard de Coligny, que l'on dit être le père adoptif du roi, est victime d'une arquebusade. Le tireur rate son coup mais le blesse superficiellement au bras. L'attentat plonge la capitale dans une vive effervescence. Les protestants sont furieux, Coligny est soigné sur ordre du roi par son médecin personnel, Ambroise Parré. Le roi promet toute la lumière sur cette affaire, mais trente-six heures plus tard, Coligny est assassiné. Une décision royale d'éliminer les chefs huguenots les plus dangereux a en effet été prise au sein du Conseil royal et avec l'accord de Catherine de Médicis. Dans la nuit du 24, les nobles protestants de Paris sont pourchassés et exécutés. Mais les catholiques parisiens poursuivent le massacre, cherchent les protestants, les assassinent, outrageant leurs corps et leurs cadavres sont noyés dans la Seine, ce durant six jours. Un chroniqueur contemporain des faits dira que « le peuple travaillait à tuer ses voisins ». La cité est au paroxysme d'une folie meurtrière pour la plus grande gloire de Dieu. Le roi vient d'ordonner la mise à morts des chefs huguenots, mort qui relève de la loi divine à laquelle le chrétien doit obéir. Ainsi raisonnent les bourgeois fanatiques de la milice et les soldats de la ville. Des soldats d'élites qui, menés par leurs capitaines vont encadrer le peuple massacreur, le conduire au combat.
Il y a de nombreuses interprétations possible de la Saint-Barthélemy, du fait même des sources dont les historiens disposent. L'événement a ainsi donné naissance à une retentissante querelle entre Janine Garrisson, Denis Crouzet et Jean-Louis Bourgeon. La documentation relative à la Saint-Barthélemy comprend des mémoires de témoins, des récits de rescapés et des documents officiels. Des mémoires qui sont la plupart du temps parasités par la volonté de proposer une explication immanente de l'événement.
L'attribution du massacre au roi repose sur deux faits. D'une part, ce sont les propos tenus par les ducs de Guise qui crient dans la capitale « le roi le veut ; tuez-les tous ». Et d'autre part, c'est la déclaration même du roi devant le Parlement le 26 août où il déclare que le grand nombre de protestants présents dans la capitale ourdissaient un complot contre lui. Ces faits qui accrédites la thèse d'un roi maître du jeu sont fragiles. En effet, on sait que dès le déclenchement de la Saint-Barthélemy, Charles IX a envoyé des ordres en province exigeant que les cités protègent les protestants en rappelant les décrets de l'édit de Saint-Germain (et il était temps car d'autres Saint-Barthélemy ont lieues à Bourges, Angers, Saumur, Troyes, Rouen, Lyon ou encore Albi). De plus, il fait circuler à Paris dès le 24 août un mandement dans lequel il ordonne la cessation de toutes violences.
À la lecture des pièces officiels, il apparaît donc que Charles IX ai changé d'avis entre le 24 et le 26 août, condamnant les troubles avant d'en assumer la responsabilité. Jean-Louis Bourgeon évoque la volte-face du roi face aux événements, Paris échappant à son contrôle. L'historien moderniste refuse l'interprétation classique d'un massacre du populaire, mais y intègre toutes les couches de la population, y compris les élites très catholiques. Cette thèse ouvre le champs des possibles à d'autres interprétations et récuse celle quasi romanesque d'une volonté propre à la reine machiavélique Catherine de Médicis, parce que femme, italienne, et voulant dominer un Charles IX faible qui cède devant les abjurations larmoyantes et théâtrales de sa mère.
En faite, la décision d'exterminer les chefs nobles protestants fut avant tout un choix politique débattu nous l'avons dit au sein du Conseil. Or, il peut donner lieu à deux lectures possibles. Soit les catholiques intransigeants qui dominent le conseil ont réussis à convaincre le roi, soit celui-ci partage les mêmes idées et voit dans un « coup de majesté » l'occasion de rétablir son autorité mise à mal.
En dépit de zones d'ombre et au-delà de ses multiples décodages possibles, la Saint-Barthélemy est à l'évidence un revers politique pour Charles IX. Soit il se trouve dépassé par l'insurrection parisienne, doit en endosser la responsabilité et couvrir les instigateurs du massacre. Soit il en est lui-même le responsable. Mais les protestants sont aussi anéantis que lui. Ils ont subis des agressions meurtrières et un grand nombre émigre vers Genève, les Iles Britanniques ou le Palatinat. Par le fer et par la plume, les réformés répliquent à leurs assaillants et en particulier à Charles IX, souverain désormais honni. Le parti protestant est serte décapité, mais dès novembre 1572, une résistance militaire prend corps dans le sud du royaume. Des villes deviennent les foyers de la réorganisation des forces militaires grâce à la mobilisation de leur milice. Ces cités, notamment La Rochelle, Sancerre ou Sommières, s'apprêtent à défier l'autorité royale. C'est la quatrième guerre de religion.
Bibliographie :
A. JOUANNA, La France du XVIe siècle 1483-1598, PUF, Paris, 1996, 710p.
M. CASSAN, La France au XVIe siècle, Armand Colin, Paris, 2005, 218p.
N. Le Roux, direct. J. Cornette, Les guerres de religions, Histoire de France, Belin, Paris, 2010, 607p.
J. GARRISSON, 1572, La Saint-Barthélemy, Editions Complexe, Bruxelles, 2000, 219p.
T. WANEGFFELEN, Catherine de Médicis, le pouvoir au féminin, Payot, Paris, 2005, 445p.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire