mercredi 5 octobre 2011

Rendez-vous en 1534

Le schisme d'Henri VIII
 
 
   L'accession des Tudors au trône d'Angleterre à la fin du XVe siècle signifie l'avènement d'une époque nouvelle pour l'histoire du royaume : fin du Moyen-Age et du féodalisme et début d'un pouvoir royal fort avec le soutient d'un Parlement puissant. Une époque aussi de renouveau des idées, avec d'une part, le développement de l'humanisme et la redécouverte de l'Antiquité classique, et d'autre part, la propagation des doctrines protestantes venues du Continent. Or, le règne du deuxième roi Tudor, Henri VIII, est incontestablement marqué par la fin de la suprématie de l'Église catholique romaine en Angleterre et l'affirmation d'une indépendance religieuse nationale, l'anglicanisme. Excellentes au début des années 1520, les relations entre le roi et la papauté se dégradent à la fin de la décennie. Peu après la publication des thèses de Luther, des tensions s'installent à cause de la demande d'annulation de mariage que seul le Pape peut satisfaire. Mais le contexte politique joue également un rôle non négligeable. La prééminence de Charles Quint en Italie, les hésitations de Rome et l'intransigeance d'Henri VIII font d'abord échouer Wolsey puis, après quelques années d'un bras de fer diplomatique, précipitent l'Angleterre dans un régime incompatible avec la primauté pontificale.
     Troisième enfant d'Henri VII et d'Elisabeth d'York, Henri VIII né le 28 juin 1491 à Greenwich. C'est un jeune homme de dix-huit ans qui monte sur le trône en 1509 après la mort de son père qui l'a longtemps tenu à l'écart du gouvernement. Il hérite d'un royaume en paix, aux caisses pleines, et jusqu'en 1512, les orientations politiques restent sensiblement les mêmes que sous Henri VII. Les vingts premières années sont ainsi dominées par la politique étrangère et la toute puissance de Thomas Wolsey qui devient en 1515 Lord Chancelier. Conformément aux vœux de son père, il épouse Catherine d'Aragon qui n'était autre que la femme de son frère décédé en 1502. Un mariage dont il se lasse vite mais qui dure près de vingt-quatre ans ne lui donnant qu'une seule fille en 1516, Marie. L'impossibilité d'avoir un héritier mâle, les considérations politiques internationales et les attraits d'Anne Boleyn incitent Henri à entamer des procédures de divorces au printemps 1527. La rupture avec Rome pour des raisons politiques et la chute de son principal ministre annoncent de profonds bouleversements politiques et religieux qui dépassent très largement le cadre de son règne. Nous verrons donc dans ce rendez-vous trois éléments : la « Grande Affaire du roi » et la rupture avec Rome, les aspects de la suprématie religieuse du roi, et enfin les réactions de la population et les conséquences du schisme.
 

 


(Henri VIII)
 
     Au début du XVIe siècle, de nombreux penseurs en Angleterre, comme dans le reste du monde occidental, appellent à une réforme de l'Église. Un désir qui prend des formes variables : certains voulent fonder de nouveaux ordres religieux, d'autres de petits groupes de prière ou d'étude. En Angleterre, il fallut un concours de circonstances précis pour qu'un certain nombre de réformes souhaitées puissent avoir lieu. Pourtant, il convient de ne pas exagérer l'impact du mouvement humaniste et de la Renaissance intellectuelle que connaît l'Angleterre du XVIe siècle, ni l'aversion qu'éprouve toute une partie de la population anglaise vis à vis de l'Église de Rome et de son clergé, ni la montée des idées protestantes à cette même période. Sans les sous-estimer, il faut bien savoir que sans les éléments déclencheurs que furent, d'une part, le désir d'avoir un héritier mâle du roi et par conséquent le divorce, et d'autre part, la situation économique et financière qui assure la pérennité de la Réforme, l'Angleterre ne serait sans doute pas devenue protestante. On distinguera ainsi des causes profondes et lointaines, et des causes immédiates.
     Parmi les causes profondes, il y a nous l'avons dit, le ressentiment envers l'Église romaine et le clergé catholique. Il est en effet possible d'affirmer qu'au début du XVIe siècle, une grande partie de la population anglaise est mécontente. Les uns jalousent la puissance de l'Église, les autres la redoutent. Les uns lui envient ses richesses, les autres sont choqués du luxe ostentatoire des prélats. Tous enfin sont choqués de l'incompétence de nombreux membres du clergé. Les exactions financières de l'Église et ses abus juridictionnels provoquent des réactions hostiles et la dîme est depuis longtemps une source de ressentiments. Les mœurs du clergé font aussi l'objet de critiques et d'attaques et lors des révoltes frumentaires, ce sont eux qui en sont les premières victimes car on les accusent de ne pas s'acquitter de leurs obligations charitables. De plus, l'Angleterre connaît depuis l'avènement des Tudors un renforcement de l'autorité royale et un affaiblissement de la noblesse féodale. Ainsi, depuis le XVe siècle, les souverains contrôlent la nomination des évêques ce qui participe au déclin du pouvoir de la papauté et ce qui encourage les aspirations réformatrices qui se tournent vers les gouvernements pour mettre en œuvre la Réforme. Dans les années 1520, Henri VIII dispose donc du soutient quasi général de ses sujets, et les développements de l'humanisme de ce « beau XVIe siècle » fait murir la population et le pouvoir royal face aux arguments des réformateurs.
     À ces causes profondes s'ajoutent des causes immédiates, et tout d'abord le divorce d'avec Catherine de Médicis afin d'épouser Anne Boleyn. En 1527, le roi fait ainsi part de ses doutes sur la régularité de son mariage avec l'ancienne femme de son frère. Anne place au sein du Conseil ses partisans ce qui affaibli durablement Wolsey qui ne parvient pas à obtenir du pape le divorce. Il est ainsi démis de ses fonction en octobre 1529 et accusé de haute trahison. Dernière cause du schisme, c'est la situation désastreuse des finances d'Henri VIII dans les années 1520, un trésor dilapidé pour divers raisons et en premier lieu le grand train de vie du roi. Le schisme représente une occasion inespérée de renflouer les caisses, les biens de l'Église représentant une richesse particulièrement conséquente.
     Les années 1529-1532 sont des années de crises au sein du Conseil du roi notamment. La nomination de Thomas More au poste de Chancelier ne permet pas, contrairement aux vœux du roi, de redonner cohérence au Conseil. Henri VIII organise la cérémonie de mariage sans l'aval du pape et alors qu'Anne est enceinte, le 24 janvier 1533. Le Parlement adopte plusieurs Actes en 1533-1534 sous la conduite de Thomas Cromwell. Une réforme essentiellement imposée d'en haut, autant politique que religieuse. L'Act in Restraint of Appeals stipule que, le roi étant l'autorité suprême, les appels en matières religieuses ne doivent plus être adressés à Rome, mais à la Couronne, ce qui lui permet d'annuler son premier mariage. Retenons quelques lois : celle pour la soumission du clergé, celle sur les annates confirmant que le roi nomme les évêques et les abbés, et surtout l'Acte de Suprématie en 1534 qui fait du roi le chef suprême sur la terre de l'Église d'Angleterre. Enfin, la loi mettant fin à l'autorité de l'évêque de Rome est voté en 1536 et dénie au Pape toute autorité spirituelle en Angleterre. L'anglicanisme est né. 
(Thomas Cromwell)
 
 
    Une suprématie religieuse du roi d'Angleterre qui va devoir l'imposer au pays et l'inscrire dans les faits. La mise en place du nouveau système est entièrement dominée par le roi et par Cromwell, son délégué aux questions religieuses. La mise en forme de la réforme prend deux formes : une certaine pression exercée sur la population, et la suppression des institutions monastiques.
    Certains historiens ont parlé de « terreur » pour désigner les mesures à la fois dissuasives, incitatives et coercitives témoignant de l'activité et de l'ingéniosité de Cromwell pour éviter la mise en place d'une dissidence. La plus spectaculaire d'entre elles est l'imposition de serments à l'ensemble de la population. Un refus expose à des poursuites pour complicité de haute trahison, les plus connus des réfractaires étant sans nul doute Thomas More et John Fisher. Les évêques sont tenus de reconnaître Henri VIII chef suprême de l'Église et doivent aussi promettre de faire appliquer les lois hostiles à Rome. Les châtiments promis ont de quoi effrayer. En novembre 1534, le Parlement vote une loi entièrement consacrée à la trahison, et en 1535, ceux qui prononcent des paroles hostiles au roi, à la famille royale et à l'anglicanisme sont passible du châtiment suprême. Mais Cromwell cherche aussi parallèlement à la répression, à persuader par une propagande qui utilise l'imprimerie et le sermon.
     L'autre mise en forme de la réforme consiste en la dissolution des monastères entre 1536 et 1540. Le monde monastique fait l'objet de vives critiques, en particulier sur leur mode de vie, une suppression qui n'est autre qu'une manipulation politique et financière déguisée, au début, en réforme religieuse. Le roi a effectivement grandement besoin d'argent et Cromwell et le clan Boleyn méprisent les raisons théologiques qui ont mené à la création des monastères (ils sont hostiles à la notion de purgatoire). Ainsi, après l'évaluation de tous les biens de l'Église, une visite systématique des communautés débouche sur la rédaction de rapports qui déplorent l'indigence spirituelle et morale des moines. Cromwell tire parti de ces documents et pousse le Parlement en 1535 à voter la dissolution des plus petits monastères. En 1538, chaque communauté doit signer des formulaires reconnaissant ses insuffisances morales, le caractère papiste et idolâtre de la vie monacale et le fait « qu'il est très bien d'être gouverné et dirigé par notre chef suprême après Dieu, sa Très Noble Grâce le Roi ».


    De toute évidence, Henri VIII et ses conseillers craignent des réactions hostiles, peut-être des rébellions contre les mesures qui mettent un terme à plusieurs siècles d'attachement à l'Eglise catholique romaine. Or, la plupart des anglais acceptent les changements sans trop d'opposition. L'assimilation du refus du nouvel ordre à un crime de haute trahison passible de la peine capitale contribue sans aucun doute à faire taire les mécontents. L'adhésion spontané au mouvement, le rejet de Rome et l'aveuglement ont joué dans la soumission presque générale à l'Acte de Suprématie d'Henri VIII. Beaucoup n'ont en effet pas deviné les conséquences du serment qui apparaît comme un act anodin, purement constitutionnel. La tradition d'obéissance au pouvoir civil, si fortement enraciné dans le christianisme de l'époque, joue en faveur du chef suprême de l'Eglise anglicane, et la notion de « corps politique » et celle de « commonwealth » mettent en avant la coopération qui doit régner dans le pays.
     Pourtant, il y a aussi des résistances dont les formes et les justifications peuvent surprendre par leur diversité. Des refus émergent, les plus remarquables étant ceux de Fisher et de More, et les plus violentes réactions sont connues sous le nom de Pèlerinage de la Grâce en 1536-1537. De grands féodaux y participent, mais aussi des membres du clergé et de la gentry. Le facteur détonateur en est les dissolutions de monastères, et les insurgés (10 000 dans le Lincolnshire, 30 000 dans le Yorkshire) agissent en faveur des rites, de la liturgie traditionnelle et souhaitent le retour à l'autonomie du pouvoir spirituel par rapport au pouvoir temporel. L'échec du mouvement est principalement du aux divergences entre insurgés et à l'impitoyable répression mené par le roi. Autre opposition, celle de Reginald Pole, descendant des Plantagenêts qui défend la primauté pontificale.
     Jusqu'en 1535, la rupture avec Rome concerne les domaines administratifs, juridiques et politiques. En dehors de la suprématie religieuse du roi, la hiérarchie ecclésiastique n'a pas été modifié. Cependant, les nouvelles prérogatives du roi et l'intervention possible du Parlement dans les affaires du clergé ne peuvent manquer d'avoir des répercussions. Le schisme ne peut se réduire à une simple rupture diplomatique car il dépasse les questions des dogmes religieux pour atteindre la société anglaise dans son ensemble et transformer la vie culturelle du pays. Que ce soit dans leurs rapports avec les autorités politiques et ecclésiastiques ou dans leur vie culturelle, les anglais se trouvent plongés dans un environnement inédit. Certes, beaucoup continus à vivre comme avant 1534, l'immense majorité conserve les mêmes croyances, mais le socle idéologique s'est mis à changer : l'esprit du Moyen-Age est définitivement mort, une nouvelle culture et une nouvelle éthique naissent.
 
     Le schisme anglais, imposé à la faveur des querelles privées du monarque avec la papauté, s'est au final avéré à la fois un échec et un succès. Il fut un échec car il ne satisfait personne parmi les individus réellement préoccupés par les questions religieuses (il horrifie les catholiques et déplait aux protestants qui veulent une réforme en profondeur sur le plan doctrinal et sur l'organisation de l'Eglise). En fait de réforme protestante, l'Angleterre a donc suivie une voie originale. Henri VIII s'est proclame chef de l'Eglise d'Angleterre, et après une période de pur calvinisme sous Édouard VI et une autre de retour au catholicisme sous Marie Tudor, Elisabeth Ière fonde véritablement l'anglicanisme. D'une part, le dogme est celui enseigné par Jean Calvin, d'autre part les structures de l'Eglise catholique et une partie de la liturgie sont conservées. Ce compromis de la « Reine vierge » se trouve rejeté par des calvinistes dissidents, les puritains. Le mouvement réformateur s'emplifie et, au XVIIe siècle, confronté à l'absolutisme et au conservatisme des Stuarts, il constitue un facteur décisif de la révolution anglaise. Mais tandis que le Parlement veille à empêcher tout rétablissement du catholicisme, les abus des puritains lors de la révolution anglaise et de la dictature d'Olivier Cromwell dans le Commonwealth provoquent le mécontentement de la population et du Parlement qui permet la Restauration. Les soubresauts de l'histoire une fois passés, la doctrine formulée par Élisabeth survie jusqu'à notre époque et sert de fondement à l'anglicanisme moderne.
 
Bibliographie :
 
Jean-Pierre MOREAU, L'Angleterre des Tudors (1485-1603),Ploton Éditeur, Paris, 2000, 207p.
Bernard COTTRET, Eveline CRUICKSHANKS, Charles GIRY-DELOISON, Histoire des Iles Britanniques du XVIe au XVIIIe siècle, Nathan Université, Paris, 1994, 272p.
Bernard COTTRET, Histoire d'Angleterre XVIe-XVIIIe siècle, PUF, Paris, 1996, 339p.
Danièle FRISON, Le schisme d'Henri VIII, Ellipses, Paris, 2004, 142p.
Jean-Pierre MOREAU, Le schisme d'Henri VIII, Armand Colin, Paris, 2004, 121p.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire