mercredi 5 octobre 2011

Rendez-vous en 1485

Une Nouvelle dynastie
 
 
    1485 est une date qui fait incontestablement figure de tournant dans l'histoire du Royaume d'Angleterre. D'abord parce qu'elle l'inscrit définitivement dans les évolutions futurs du « beau » siècle Tudor, ensuite parce qu'elle marque la fin des dérèglements politiques de la seconde moitié XVe siècle. À une période de troubles et de guerres civiles et fratricides suit celle d'une apogée dynastique, celle des Tudors. S'il faut attendre le XVIIe, et plus encore le XVIIIe siècle pour que s'établisse le véritable État moderne qui fera de l'Angleterre la première puissance du monde, les Tudors posent les bases indispensables à la réussite ultérieure. C'est ainsi que l'historiographie a très longtemps fait de ce XVIe siècle celui de la re-naissance d'une glorieuse monarchie, celui de la monarchie tempérée et de l'anglicanisme, brutalement stoppée par l'expérience des Stuarts papistes et absolutistes du siècle suivant.
     Fondateur de sa dynastie, Henri Tudor arrive sur le trône en 1485, mettant ainsi fin à la Guerre des Deux-Roses qui déchire le royaume depuis trente ans. Souvent présenté comme le pacificateur de l'Angleterre et le premier promoteur d'une royauté centralisée et efficace, Henri VII prend le pouvoir dans un contexte de désagrégation du pouvoir royal. Mais beaucoup s'interrogent aujourd'hui sur la nature exacte de son régime et sur la réalité de sa réussite. Sans déborder de trop sur la suite de son règne et sur ses successeurs qui feront l'objet d'autres rendez-vous, nous nous bornerons ici à expliquer le contexte très particulier d'accession au trône de Henri Tudor, et la mise en place d'une dynastie qui devra lutter contre le souvenir cuisant du passé, mais aussi contre son repli politique et culturel.
     Et avant de commencer, je vous propose cet arbre généalogique qui vous aidera à suivre :

    Henri Tudor né le 28 janvier 1457. Son père, Edmond Tudor comte de Richmond n'est autre que le demi-frère du roi Henri VI, tandis que sa mère, la jeune Margaret Beaufort est l'arrière petite-fille d'Édouard III (voir arbre généalogique). Ses droits légitimes sur la Couronne sont minces, pourtant, il est considéré à la mort d'Henri VI comme l'héritier mâle de la maison royale de Lancastre. La nouvelle accession au trône d'Édouard IV de la maison royale d'York le pousse à fuir pour la Bretagne en 1471.
    Après une tentative infructueuse en 1483, et alors qu'il est désormais le seul prétendant sérieux à la Couronne d'Angleterre, il obtient l'aide financière de roi Charles VIII de France et débarque le 7 août 1485 au pays de Galles. Le 22 août, à Bosworth, il rencontre les armées du roi Richard III. Henri remporte la bataille et le roi est tué au combat. La volonté divine offre le trône d'Angleterre à une nouvelle dynastie qui règne jusqu'en 1603. Mais pour bien comprendre l'enchainement de ces événements, il est indispensable de connaître, dans ses grandes lignes au moins, la guerre des Deux-Roses dont Henri VII met fin par sa victoire à Bosworth.
   
    Tout commence en 1399 quand le roi Plantagenêt Richard II se fait déposer par son cousin Henri Bolingbroke, futur Henri IV. Alors que la Couronne doit revenir aux héritiers du deuxième fils d'Édouard III, Lionel d'Anvers, Henri Bolingbroke se fait couronner le 13 octobre 1399 peu après l'emprisonnement de Richard. Trois rois Lancastriens règnent donc en Angleterre les uns après les autres, de Henri IV à Henri VI couronné en 1422. Une période qui ne va pas sans oppositions diverses, en particulier de la part des Yorkistes, autre branche de la famille royale issue d'Edmond de Langley. Henri IV se montre incapable de mater les révoltes et de maintenir l'ordre public, tandis qu'Henri V retrouve la confiance du Parlement de Westminster et gagne de nombreuses batailles militaires, la plus connue étant sans nul doute celle d'Azincourt en 1415 où la noblesse française est décimée. Elle aboutie à la prise de la Normandie et à faire du roi d'Angleterre l'héritier du trône de France (un rêve de double monarchie qui ne dure guère). Mais il doit aussi faire face à une rébellion menée par le fils d'Edmond de Langley, Richard qui sera exécuté en 1415.
     A la mort du roi, Henri VI n'a que neuf mois et ce sont ses oncles qui gouvernent. Il se laisse dominer dès les années 1430 par une faction composée de membre de son entourage particulièrement impopulaires, William de la Pole et Edmond Beaufort notamment. Les difficultés rencontrées dans la Guerre de Cent Ans, la perte de possessions anglaises sur le continent, les troubles mentaux du roi et la volonté « d'éliminer » les mauvais conseillers de celui-ci, autant d'éléments qui expliquent la reprise des questions sur la légitimité des Lancastres.
    La vie politique tend dans les années suivantes à se polariser autour du roi et de ses conseillers d'un côté, de l'autre autour de Richard duc d'York qui devient en mars 1454 protecteur et principal conseiller d'Henri VI alors malade. A la guérison du roi et se sentant menacée, la faction Yorkiste recourt à la force et combat le roi à Saint-Albans le 22 mai 1455. La « première bataille de Saint-Albans » ouvre une série de luttes violentes entre les clans aristocratiques connue sous le nom de guerre des Deux-Roses, par référence aux emblèmes des deux familles impliquées dans le conflit dynastique : la rose rouge des Lancastre et la rose blanche des York.
 
 
    La reine Marguerite d'Anjou prend la tête des opérations, mais les succès sont sans lendemain et le roi est capturé à l'été 1460. En dépit de la victoire lancastrienne de Wakefield où Richard duc d'York est tué, son fils monte sur le trône sous le nom d'Édouard IV avant de vaincre définitivement ses adversaires à Towton. Il se présente comme le sauveur d'un peuple opprimé tandis qu'Henri VI se réfugie en Écosse. Mais rapidement, Édouard mécontente son allié Richard Neville, comte de Warwick dit le « faiseur de roi » en se mariant à Elizabeth Woodville et en accordant ses faveurs à cette famille. Warwick, avec l'aide de la France organise un coup de force et rétablit Henri VI sur le trône en 1470. Édouard, réfugié en Hollande prépare une invasion et écrase l'armée lancastrienne à Tewkesbery en 1471. Le fils d'Henri VI y trouve la mort et le roi disparaît peu de temps après. Édouard IV monte donc une seconde fois sur le trône. Il contrôle le Parlement et sa noblesse, assassine ses adversaires, et devient le maître du royaume.
     À la mort d'Édouard IV en 1484 son frère Richard est nommé protecteur du royaume et s'empare de l'héritier du trône alors âgé de 12 ans. Il fait en sorte de devenir l'unique héritier et est couronné en octobre sous le nom de Richard III. Pourtant, il se créé un nouveau rival en la personne d'Henri Tudor qui débarque en Angleterre l'année suivante et remporte la bataille de Bosworth. Voulant être celui qui met un terme à la guerre civile, il adopte un emblème mêlant la rose des Lancastres et celle des Yorks :

    A son couronnement, Henri VII est loin d'être un héritier légitime et rien ne garantit que ses enfants accéderont un jour au trône. Il faut donc pour le nouveau roi s'imposer et asseoir une autorité souvent discutée. Il comprend très vite que la sécurité de sa dynastie dépend autant du respect et de la crainte qu'il saura inspirer que de la paix civile à reconstruire. Il n'aura de cesse d'éviter de nouveaux soubresauts à son pays. Patient, austère, obstiné, rigoureux mais aussi rusé, il s'évertue à faire correspondre son propre intérêt et celui de ses sujets, paix et stabilité devenant les mots clés de son règne.
     Afin de clore la guerre fratricide, il épouse Elizabeth d'York, fille d'Édouard IV réduisant ainsi les risques de contestations que le parti de la « rose blanche » aurait pu provoquer. Mais le jeux politique des complots, rébellions et révolutions n'a pas véritablement cessé. Certains historiens considèrent ainsi que la dernière grande bataille de la Guerre des Deux-Roses se déroule en 1487 à Stoke. La conspiration s'organise autour d'un certain Lambert Simnel qui serait en vérité le fils d'Édouard IV pourtant mort quelques années plus tôt à la Tour. Les meneurs yorkistes sont exterminés tandis que Simnel est fait prisonnier.
     Mettant en place une politique faisant quasi disparaître les grands magnats aristocrates qui avaient causé tant de problèmes à ses prédécesseurs, Henri VII choisi et fidélise un personnel politico-administratif de grande valeur. Entre 1485 et 1509, moins de vingt personnes se succèdent aux postes clés du pouvoir. Le roi exerce un contrôle effectif sur le gouvernement et sur le Parlement qui lui est totalement soumit. Pourtant, il n'innove guère. Certaines de ses transformations sont en réalité des retours en arrières.

 
     L'accession des Tudors au trône d'Angleterre à la fin du XVe siècle marque l'avènement d'une époque nouvelle de l'histoire du royaume : c'est la fin du féodalisme et le début d'un pouvoir royal fort qui s'appuie sur le Parlement ; le début de la montée en puissance des classes moyennes et d'une économie de type capitaliste ; le renouveau des idées, avec d'une part le développement de l'humanisme et la redécouverte de l'antiquité classique, et, d'autre part, la propagation des doctrines protestantes venue du Continent. Car n'est-ce pas à la même époque, sous le règne d'Henri VIII, que prend fin la suprématie de l'Église catholique romaine en Angleterre et que s'affirme une indépendance religieuse nationale, l'anglicanisme qui marque le pays à jamais ? Pourtant, sans minorer ces évolutions, il est indispensable de les tempérer. Ce « mythe Tudor » et la victoire de Bosworth présentés comme un tournant décisif appartient à une tradition historiographie Whig (libéraux) du XIXe siècle où la notion de progrès est fondamentale. Or, depuis les années 1970, certains auteurs ont remis en cause le « tournant » 1485 et ont insisté au contraire sur les continuités avec le reste du XVe siècle. On peut néanmoins affirmer qu'au final, 1485, bien plus que le couronnement d'une nouvelle dynastie, représente la fin de la période médiévale et le début de la Renaissance anglaise.
 
Bibliographie :
 
Jean-Pierre MOREAU, L'Angleterre des Tudors (1485-1603), Ploton Éditeur, Paris, 2000, 207p.
Bernard COTTRET, Eveline CRUICKSHANKS, Charles GIRY-DELOISON, Histoire des Iles Britanniques du XVIe au XVIIIe siècle, Nathan Université, Paris, 1994, 272p.
Stéphane LEBECQ, Histoire des Iles Britanniques, PUF, Paris, 2007, 944p.

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