mercredi 5 octobre 2011

Rendez-vous en 1919


Race de Bronze, Alcides Arguedas

    Place à un rendez-vous un peu original où je vous propose l'analyse d'un roman, Race de Bronze d'Alcides Arguedas, auteur bolivien qui a longtemps vécu en France et qui nous propose un portrait de la vie indienne au début du XXe siècle sur les rives du lac Titicaca.
  Race de Bronze, roman publié en 1919 par Alcides Arguedas est souvent considéré comme le premier grand roman indigéniste de l'Amérique Latine.
    Le terme indigénisme concerne tout à la fois le domaine littéraire et politique. Il désigne d'abord les politiques menées par certains gouvernements à l’égard des communautés indiennes dans un but d’intégration ou d’acculturation, différent donc de l'indianisme qui apparaît à la fin du XXe siècle et qui est la politisation des Indiens, leur prise de position directe sur les questions qui les concernent, l'émergence d'une vie politique indienne, et l'expression de sa volonté. Mais l'indigénisme sert aussi à qualifier les mouvements revendicatifs de ces communautés. En effet, le début du XXe siècle voit divers indices témoignant d'une évolution des sociétés latino-américaines comme le mouvement étudiant de 1918, ou encore la classe ouvrière qui commence à faire entendre sa voix.
    Les formes littéraires et artistiques reflètent aussi les évolutions des sociétés. C'est à ce moment là que l'Amérique Latine acquiert une identité culturelle propre, distincte de l'Europe bien qu'encore sous influence. L'ambiance générale devient anti-impérialiste et l'engagement politique des artistes s'en ressent. Sur le plan littéraire l’indigénisme désigne donc un courant mettant en scène avec réalisme et le plus souvent avec un fort accent de dénonciation les conditions de vie de l’indien et ses luttes pour la survie face à l’oligarchie et au pouvoir dérivé de la colonisation.

Race de Bronze : présentation de l'œuvre

. L'auteur :

    Alcides Arguedas est né à La Paz en Bolivie en 1879. André Maurois nous donne dans sa préface une vision de son adolescence semblable à l'un des personnages de Race de Bronze, Suarez dont il en fait un poète curieux d'entrer en contact avec les indiens. Arguedas va ainsi apprendre la langue des indiens Aymaras et étudie de près leurs mœurs. Il assiste même à certaines cérémonies qu'il pourra ensuite décrire avec véracité et précision dans son roman.
     Après ses études à La Paz, il part pour Paris où il arrive en 1905 pour y suivre les cours de l’École des Hautes études sociales. La France devient rapidement sa seconde patrie et c'est ici qu'il commence à écrire, sa carrière littéraire débutant en 1904 lorsqu'il publie le roman espagnol Wata-Wara qui était une première ébauche de Race de Bronze, car en lisant ce dernier livre, on remarque qu'une très belle indienne du nom de Wata-Wara est au centre du récit. A la publication de ce premier roman, l'auteur à l'impression d'avoir fait un petit livre avec un grand sujet. Il se donne alors pour objectif de le réécrire : « De 1904, année où parût Wata-Wara, jusqu'en 1919, pendant quinze ans, je n'ai pas pensé à autre chose. Ce fut une obsession ; en tout lieux, en toutes circonstances, j'écrivais Race de Bronze, seconde version de Wata-Wara, livre manqué ».
     En parallèle de Race de Bronze, Arguedas publie un livre d'étude sociale sur les problèmes boliviens, Pueblo enfermo (Peuple malade) fortement controversé dans son pays natal. Il y fait un constat, celui de ne pas avoir mis en valeur, avec le concours des indiens, les richesses du sol bolivien. Constat repris en 1919 dans Race de Bronze, livre unique dans la littérature hispano-américaine par ses magnifiques descriptions des Andes, son importance sociale et sa grande qualité dramatique. Mais sans doute parce qu'il dénonçait des abus trop réels, il n'a jamais eu en Amérique Latine, le succès qu'il mérite.

. L'œuvre :

    André Maurois dans la préface de Race de Bronze nous présente l'œuvre comme idyllique et épique. Un roman est épique lorsqu'il met en scène non seulement les personnages dont parle le texte, mais aussi les peuples et les dieux. Or, le véritable sujet de Race de Bronze est bien le malheur du peuple indien et sa marche, alimenté par la haine, vers la révolte et la vengeance. Roman idyllique aussi car le sujet de départ est bien celui traité dans le livre Wata-Wara, celui d'une histoire d'amour, mais une idylle qui devient sauvage lorsque, la bergère tombant enceinte après avoir était abusée par un colon, on décide de jeter l'enfant à naître aux porcs qui le mangeront.
     Roman épique, idyllique, il est aussi lyrique car Race de Bronze est avant tout une ode à ces magnifiques paysages de l’Altiplano andin, aux pieds de la Cordillère des Andes, sur les rives du lac Titicaca. Et c'est dans ce décor que l'auteur installe sa trame et ses personnages : un peuple de pauvres indiens asservis par quelques colons secondés par les cholos, les métis locaux. En effet, c'est dans une suite de tableaux décrivant la vie de ce peuple que l'auteur nous mène d'un bout à l'autre du roman : l’amour, le mariage, le maître, la punition, les maltraitances, la mort, les croyances et superstitions, l’histoire de la conquête…
     Le livre se divise en deux partie, une première qui raconte le voyage de quatre péons (paysans) envoyés, au péril de leur vie, dans les vallées inhospitalières échanger les produits de la montagne contre ceux de ces vallées. C'est sans doute le tableau le plus riche qui raconte l’odyssée de ces quatre indiens, dont un ne reviendra pas, emporté par un fleuve suite à la «mazammorra », coulée de boue descendant des montagnes. La seconde partie du roman, plus longue, nous présente la vie de tous les jours de ces indiens au sein d'une hacienda (exploitation agricole de grande dimension). On y découvre leur quotidien, leurs traditions, leur travail et les relations qu'il entretiennent avec leurs maîtres.
     L'extrait que j'ai choisi d'analyser se situe dans la seconde partie de Race de Bronze, juste après le mariage de Wata-Wara et d'Agiali. Dans ce passage, Pablo Pantoja, le patron de l'hacienda où travail les indiens du roman, ramène des amis avec lui pour leur présenter son exploitation. Or, à leur arrivée, les indiens se préparent à accueillir leur maître avec tambours, flûtes et drapeaux. Mais le bruit effraye les chevaux qui partent en tous les sens et, rendu fou furieux, Pantoja punit les indiens en les frappant avec son fouet. Le présent extrait qui fait suite à cette terrible scène nous présente la vision que Pantoja a des indiens et va nous permettre d'analyser les grands thèmes du romans en nous demandant dans quelles conditions vivent les indiens de Bolivie et quels rapports entretiennent-ils avec leurs maîtres ?

    Don Pablo Pantoja, ou P. P. était un homme d'une trentaine d'année, grand, brun, solidement charpenté. Il avait hérité de ses parents un profond mépris pour les Indiens qu'il considérait avec l'indifférence naturelle qu'on accorde aux pierres du chemin, aux chutes d'un torrent, ou au vol d'un oiseau. Si parfois les souffrances d'une bête pouvait éveiller sa pitié, jamais celles d'un Indien n'y parvenait.
     Pour lui, l'Indien valait moins qu'un objet. Il n'était bon qu'à labourer, à semer, à cueillir, à transporter les récoltes à la ville, à les vendre et à lui en remettre l'argent.
Ses trois amis – Pierre Valle, José Ocampo et Louis Aguirre – lui ressemblaient ; propriétaires eux aussi. Les haciendas restaient entre leurs jeunes mains aussi improductives qu'elles l'avaient été dans les mains oisives de leurs parents. Pourtant, quand ils se comparaient aux Indiens, ils se considéraient comme des êtres infiniment supérieurs, d'une essence différente. Ils ne se donnaient jamais la peine de se demander si l'Indien pouvait échapper à sa condition d'esclave, s'éduquer, se cultiver, réussir. Ils l'avaient vu, dès le berceau, humble, misérable, rusé. Ils croyaient que c'était son état naturel. Il ne pouvait ni ne devait, à leur avis, s'émanciper sans bouleverser l'ordre des facteurs, il était condamné à mourir ainsi. Une opinion contraire leur eût semblé absurde, insoutenable. Car, du fait que dans toute société, même la plus cultivée, on admet l'inéluctable nécessité de s'en remettre à une catégorie d'individus pour les humbles travaux rétribués, il fallait obligatoirement que les Indiens ici fussent employés à ces tâches, avec ou sans rétribution. En effet, si l'on instruisait et raffinait l'Indien, qui donc cultiverait les champs, les ferait produire, et surtout qui ferait office de pongo ?
    Par ailleurs, avait-on jamais vu un Indien se distinguer, briller, s'imposer, dominer, se faire obéir des blancs ? Sans doute, peut-il quelquefois modifier sa situation, l'améliorer, s'enrichir même, mais il n'échappe jamais à son milieu social. Un sunicho commerçant, conseiller, député, ministre ?... Nul ne songerait seulement à imaginer un tel phénomène. On verrait plutôt se bouleverser toutes les lois de la mécaniques céleste. Jamais il ne troque directement le poncho et la culotte fendue sur le côté, emblèmes de son infériorité, contre le chapeau haut-de-forme et la redingote des messieurs. L'Indien qui évolue devient portefaix à La Paz ou boucher. S'il gravit un échelon de plus, il se transforme en cholo avec le veston distinctif, mais il ne pénètre pas encore dans la catégorie des gens « bien ». Pour atteindre cette caste, il faut deux générations de luttes ou, tout au moins, un mélange de sang, comme il arrive chaque fois qu'un blanc peu exigeant ou déchu s'encanaille avec une domestiques indienne, adopte les enfants, les élève et, en même temps que ses biens, leur laisse à son nom en héritage. Le cholo seul peut jouir de certains privilèges : le cholo aisé envoie son fils à l'école, puis à l'Université. Si le fils réussit dans ses études et obtient le titre d'avocat, il plaide, écrit dans les journaux, intrigue en politique et devient parfois juge, conseiller municipal ou député. Dans ce cas et grâce à la fonction, il change de classe et entre dans celle des gens « bien ». Alors, il renie son origine et appelle cholo avec mépris tout ce qu'il déteste, car il est, par atavisme, rancunier et tenace dans ses haines. Puis, il peut parvenir à être sénateur, ministre, peut-être plus encore, si le hasard le favorise. La fortune a toujours souri aux cholos, ainsi qu'en fait foi le tableau lamentable des annales de la patrie qui n'est qu'une immense tache de boue et de sang.
     Parois, il est vrai, les jeunes gens avaient entendu dire, dans les salons, que le maréchal Santa Cruz, président et dictateur, était indien, un pur Indien du bourg Huarina, situé au bord de ce lac qu'ils commençaient à apercevoir là-bas, à l'horizon. Que la famille Untel, aujourd'hui gens de valeur et au premier rang des affaires publiques et des finances, étaient, eux aussi, des Indiens purs ou descendants d'Indiens, que Catacora, le martyr de l'indépendance, était indien, qu'eux mêmes étaient indiens, mais ils ne voulaient pas y croire et tous, à commencer par les descendants du maréchal, comme s'il s'agissait d'une question de vie ou de mort, s'empressaient d'exhumer d'obscures et poussiéreuses généalogies. On eût dit que le fait de passer pour descendants d'Indiens les marquait à jamais de stigmates indélébiles. Alors qu'ils portaient les signes patents de la pire race corrompue des métis, non seulement sur leur peau olivâtre ou leurs cheveux raides, mais surtout dans le ferment de haines et de vilenies contenu dans leur âme...

Race de Bronze, Alcides Arguedas, p.184-186
 


La terre des Indiens

    « Où pourrions-nous aller sans être obligés de servir ? ». C'est sur cette interrogation que se clos le tout premier chapitre du roman à travers laquelle transparaît le dépit des indiens, leur résignation aussi face à leur condition d'esclave. Mais il convient ici d'expliquer comment la situation des indiens en est arrivée là et dans quel cadre de vie ils vivent.

. Les Indiens privés de leur terre :

    Nous apprenons que Pantoja, métisse d'une trentaine d'années, est un grand propriétaire terrien. Effectivement, les indiens boliviens ont étaient dépossédés de leurs terres, pourtant propriétés traditionnelles de leurs ancêtres, au temps de la dictature de Mariano Melgarejo entre 1864 et 1871.
     Indépendante en 1825, et après des tentatives d’institutionnalisation, la Bolivie tombe aux mains de dictateurs et de leurs intérêts personnels. Dans Pueblo enfermo, Arguedas les classes en deux catégories :
  • D'abord les « caudillos cultivés » qui ont tentés de mettre le pays sur la voie de la modernité et se basant sur les modèles européens. C'est par exemple le cas du général Sucre (1826-1828) ou du maréchal Santa Cruz (1829-1839).
  • Les autres sont les « caudillos barbares » d'origine indigène qui multiplient leurs efforts dans le seul but de placer le pays sous leur domination et de l'exploiter à leur profit.
Et le plus emblématiques d'entre eux est Melgarejo. Militaire de carrière et d'origine indienne, Melgarejo participe à la rébellion contre le dictateur Manuel Belzu en 1854. Jugé pour trahison, puis gracié, il se retourne en 1864 contre José Achá et vainc ses forces ainsi que celles de l'ancien président Belzu, qui tente également de reprendre le pouvoir. Il se proclame alors président de Bolivie et écrase l'opposition dès son arrivée au pouvoir.
     Il s'attaque aux droits traditionnels des indigènes, les chassant de leurs terres par le décret connu sous le nom de « Decreto Ordenatorio » publié en mai 1866, lequel accordait aux paysans le droit de racheter à l'État les terres qu'ils occupaient et qui leur avaient en réalité toujours appartenu. Il leur était accordé pour cela un délai délibérément insuffisant de 60 jours. La finalité de ce décret était d'une part de simplifier l'usurpation des terres indiennes aux profit de la grande propriété terrienne, puis de trouver des fonds pour combler le déficit des caisses de l'État. Cette logique d'usurpation s'est poursuivit par le rétablissement du « tributo », un impôt datant de l'époque coloniale et qui pèse sur les indiens, ainsi que par la mise aux enchères des terres de toutes communautés qui ne s'étaient pas encore pliées à la loi. Voici ce qu'on peut lire à la page 97 :

« Ainsi, dans le sang et les larmes, en moins de trois ans de lutte abjecte, furent dissoutes près de cent communautés indigènes dont les biens furent répartis entre une centaine de propriétaires nouveaux. Nombre de ceux-ci parvinrent à usurper des terres de culture de plus de vingt kilomètres d'affilés. Plus de trois cent mille indigènes se virent dépossédés de leurs terres ; quelques-uns émigrèrent sans pensée de retour, tandis que les autres, vaincus par la misère, accablés par la nostalgie invincible du pays, se résignèrent à subir le joug du métis et se firent péons... »

C'est d'ailleurs à la même page que l'on comprend de quel façon le père de Pantoja a obtenu la communauté de Kohahuyo : il était tout simplement proche d'un général favori de Melgarejo. Servile et habile, c'est ainsi que le dictateur l'a récompensé par la concession de terres communales.

. Le cadre de vie des indiens :

    Pantoja est donc le propriétaire d'une hacienda où se déroule la trame de cette histoire. Il convient donc de préciser ce qu'est une hacienda et comment elle s'organise pour comprendre les conditions de vie des Indiens.
    L'hacienda traditionnelle n'évoque par seulement l'idée d'une unité de production agricole, et plus qu'une forme d'appropriation et d'exploitation de la terre, c'est une « institution » qui est la clef de voûte de la société rurale. Elle réalise certes la concentration de la propriété entre les mains d'une petite minorité mais elle propose aussi un mode des rapports de production qui maintiennent la main-d'œuvre, de la naissance à la mort, sur le domaine, cela de deux façons :
  • En lui cédant l'exploitation d'une parcelle contre des obligations matérielles comme la livraison d'une partie de la récolte et la prestation de travail sur la terre,
  • Et en la maintenant dans un état de dépendance souvent personnelle.
    Car l'hacienda est aussi une organisation sociale dont l'idéal est l'autarcie économique puisqu'elle tend à se suffire à elle même. Un idéal aussi de société fermée à l'intérieure de laquelle le propriétaire agit en maître et seigneur. L'hacienda est d'avantage imposante par le nombre de personne qu'elle permet de contrôler que par sa productivité, très limitée. On peut définir l'hacienda comme une organisation para-féodale car à l'état de quasi servage des péons répond la mentalité quasi seigneuriale de l'aristocratie foncière, cela dans un environnement capitaliste même s'il est archaïque par rapport au dynamisme du capitalisme moderne fondé sur le crédit, les salaires, la productivité et le profit. Un situation que Pantoja explique : « pour lui, l'Indien valais moins qu'un objet », et ils ne sont bon qu'à travailler pour lui. Dans le troisième paragraphe, il évoque la condition d'esclave des indiens et le fait que toutes les société s'en soit remis aux mains de classes pauvres pour les travaux difficiles. On voit bien ici la mentalité des patrons qui se pensent supérieurs et la présence d'un capitalisme archaïque. Et face à cette situation, les indiens se soumettent car ils n'ont pas le choix. Un parfait exemple est en la page 213 alors qu'a lieu une fête traditionnelle indienne : « cependant la plupart d'entre eux étant à moitié ivres, jeunes gens et jeunes filles se détachèrent de leur groupe, se traînèrent à genoux jusqu'à l'endroit où se trouvait Pantoja, essuyèrent de leurs lèvres la poussière de ses bottes, lui baisèrent les mains et lui rendirent l’hommage de leur soumission dans une humble attitude et d'un ton poli ».
     Qu'ils soient numériquement majoritaire ou non, dans l'hacienda, les indiens sont toujours réduits en minorité sociologique. Car se sont eux les colons, les péons qui vivent en économie de subsistance sur des terres qui ne sont pas les leurs. Maladies, analphabétisation, faiblesse de conscience de classe, et alcool les caractérisent et leur cadre de vie ne fait rien pour arranger les choses. Ni la religion car si on assiste tout au long du roman aux rites et traditions des indiens, l'emprise de la religion catholique est importante. Ainsi, Agiali pour se marier, contact un curé cupide qui exploite les Indiens et lui fait payer son mariage le prix d'une vache. Loin d'être un protecteur, il est une difficulté de plus lorsqu'il abuse les jeunes indiennes qu'il fait venir à lui sous prétexte de leur apprendre à prier.

La vie des indiens et la question du métissage

    « Notre destiné est la souffrance », ainsi parle à la page 124 de Race de Bronze Choquehuanka, le chef spirituel des indiens alors que les premières idées de révoltes naissent parmi les indigènes au retour du voyage dans la vallée et alors que l'un d'eux est mort. Je vais donc à présent analyser, à travers cet extrait quelles sont les conditions de vie des indiens.

. Une vie de souffrances :

    Les thèmes principaux du roman sont clair : il s'agit avant tout d'un discours passionné en faveur des indiens. L'auteur nous plonge dans leur monde, tant géographique que social, et nous met devant le fait de leurs souffrances et de leurs luttes pour la vie et face à la cruauté de leurs maîtres. Et cet extrait nous montre parfaitement bien quelles sont les conditions de vie des Indiens, et ce à travers les yeux de Pantoja. Ainsi, il est clairement indiqué que l'Indien est classé au rang d'esclave et que « c'était son état naturel », qu'il « était condamné à mourir ainsi ».
     La narration du voyage de quatre péons envoyés dans les vallées échanger les produits de la montagne ouvre le roman par une description des obligations des fermiers Indiens qui doivent affronter de terribles dangers comme la traversée d'un fleuve tumultueux : « La terreur du fleuve avait envahie l'âme des voyageurs » (page 50). Et de peur d'être puni ou de perdre une de leur précieuse ressources, les indiens n'hésitent pas à se jeter dans le courent pour sauver une de leur bête, quitte à en mourir. Tandis qu'à la page 106, Wata-Wara est particulièrement heureuse de recevoir en cadeau de son fiancé une simple pomme ramenée des vallées, la mort d'un Indien provoque à la page 152 la déchéance d'une famille : « et c'est ainsi que le mort enfonça les vivants dans une misère tragique, irrémédiable » car pour payer les dettes de son mari, la veuve doit vendre toutes ces bêtes. Les patrons ne sont inquiet de la mort de leur paysans non pour des raisons humaines, mais pour des raisons économiques car c'est une perte d'argent. D'ailleurs, leur habitat montre bien la misère dans laquelle ils vivent, page 10 : « c'était une longue salle étroite, aux mûrs noirâtres. Face à la petite porte basse, on voyait le four en argile, au fond duquel brûlait un maigre feu qu'alimentait la fiente sèche des brebis. Deux estrades en torchis servaient de lits ». Et face à cette situation, on lit un certain septissisme chez les Indiens, page 138 : « Pour lui, voilà ce qu'était la vie : souffrir, pleurer, lutter et mourir. La joie, une joie exempte de crainte et de regrets, ne lui semblait pas concevable ».
    « Si parfois les souffrances d'une bête pouvaient éveiller sa pitié, jamais celles d'un indien n'y parvenaient ». Pantoja considère les indiens comme des animaux, voir même en dessous des animaux et ne se préoccupe pas de leur situation. Preuve en est à la page 195 :« il ne se souciait que de récolter l'argent à la sueur de leur muscles, à les réduire à la misère. Dans sa demeure en ville, il les obligeait à être debout de l'aube jusqu'à minuit passé. Toujours il leur marchandait les aliments, veillant à ce qu'on leur fasse leur cuisine à part, avec celle du chien. Et leurs dos payaient sous le fouet la plus petite faute, la plus légère négligence ». Tout cela pouvant s'expliquer par le fait que Pantoga et ses amis « se considéraient comme des êtres infiniment supérieurs, d'une essence différente ». Je terminerais cette sous partie par une citation de la page 210 : « les blancs créés directement par Dieu, constituaient une race d'homme supérieure : les patrons. Les indiens, fait d'une semence différente, par des mains beaucoup moins parfaites, étaient tarés, dès leur origine, et nécessairement devaient être assujettis par les blancs jusqu'à la fin des temps ».

. Indiens et métis :

    Reprenant cette idée de race inférieure et de race supérieure, je vais maintenant m'intéresser particulièrement aux questions du métissage que pose clairement ce texte.
   Pantoja nous présente les indiens comme une race sans avenir : « il ne se donnait jamais la peine de se demander si l'indien pouvait échapper à sa condition d'esclave ». Rare sont en effet les Indiens qui réussissent à s’émanciper et les blancs ou métisses font tout pour éviter cela en refusant de les éduquer page 227 : « je me moque de tous ceux qui croient découvrir le secret de la transformation de l'indien dans l'école et le truchement du pédagogue. Le jour où l'indien aura des professeurs, tes héritiers n'auront plus qu'à choisir une autre nationalité ». Le quatrième paragraphe de l'extrait évoque bien cette situation de l'indien sans avenir qui pour atteindre « la caste des gens « biens », il faut deux génération de luttes ou, tout au moins, un mélange de sang ». Devenu Cholo, l’indien métis peut alors espérer faire des études.
    Cet extrait donne une large place à la vision des indiens par Pantoja, j'en ai parlé plus haut, mais il pose les bases d'un problème profond, outre les relations parfois conflictuelles et souvent inégales entre indiens et blancs, celui du métissage. Nous apprenons ici que le seul moyen d' avancer dans la société pour un Indien est le « mélange des sang », « comme il arrive chaque fois qu'un blanc peu exigeant ou déchu s'encanaille avec une domestiques indienne, adopte ses enfants et leur laisse à son nom son héritage ». Le cholo change alors de classe sociale même s'il lui faut encore accomplir beaucoup de chose et la question que souligne cet extrait est quand le cholo « renie son origine ». Et en effet, Pantojo lui-même est un métisse, ainsi que l'administrateur de l'hacienda. Il est d'ailleurs important de noter que Melgarejo lui-même est d'origine indienne ce qui ne l'a pas empêché de privée les indigènes de leurs terres.
   Si le cholo peut obtenir certains privilèges non accordés aux indigènes, notamment au niveau des études, dès qu'il a réussit à se faire une place dans la société, il s'empresse de traiter les indiens dont il il partage l'origine avec mépris. Pantoja distingue sans cesse dans le texte deux races, une supérieure et une inférieure, en évoquant toujours les cholos avec condescendance. On lit d'ailleurs qu'il « appelle cholo avec mépris tout ce qu'il déteste car il est rancunier et tenace dans ses haines ». Le métis a perdu la conscience de son état et se considère dès lors comme un blanc. Jamais les métis qui ont réussis à se faire une place n'utilisent ce terme qui est toujours contesté. Autorisé à devenir hommes de lois, greffiers ou maire, les classes dirigeantes offrent en Bolivie un caractère original qui tient à ce que leurs membres soient acceptés comme métis. La barrière entre métis et indiens devient donc dans un sens aussi culturelle que raciale.

Conclusion :

     Comme le dit André Maurois dans la préface de Race de Bronze, Arguedas nous propose ici une véritable « prédication sociale » à une période où les problèmes sociaux hantaient tous les Boliviens libéraux. Nous nous sommes efforcsé dans cet exposé de transcrire et d'analyser, à travers l'exemple de l'extrait que j'ai choisi et en m'appuyant aussi largement que possible sur l'ensemble de l'œuvre, les grands thèmes du roman. Les messages de l'auteur aussi qui s'est appliqué à nous présenter la vie des Indiens de l'Altiplano andin, leur quotidien, leur travail ou leurs histoires d'amours. Nous mettant face à une description particulièrement détaillée de leur vie et de leur condition de vie, Arguedas nous permet de dresser un portrait assez réaliste de la vie indienne au début du XXe siècle. Car si l'auteur n'est pas un historien et si ce n'est pas un roman historique à proprement parlé, les connaissances d'Arguedas sur son pays et ses populations, notamment acquises lors de sa jeunesse nous permet de nous fier relativement bien à ses dires même s'il n'est pas totalement objectif. Mais s'il prend clairement parti pour les indiens, l'auteur ne défend pas pour autant les actes de violence des ces derniers. « Il ne justifie pas, il décrit » : « dès mon adolescence, j'avais été frappé par l'inutile violence de nos luttes politiques et la persistance des haines personnelles ». Ce roman est tout à la fois un éloge de la fierté et de la dignité de ce peuple asservi et un réquisitoire contre des conquérants qui ont profité d’un armement supérieur pour imposer leur loi et spolier les Indiens. En tout les cas, et pour la première fois, un écrivain se penche sur la vie de la race autochtone, sur ses souffrances, ignorées alors par beaucoup, et sur les problèmes du métissage. Pourtant, l'an dernier en Bolivie, l'ex-ministre à la décolonisation a fait une déclaration étonnante disant que « Race de bronze est le livre le plus raciste possible et continu d'être enseigner dans les classes ». Nous l'avons bien vu, le roman d'Arguedas est plus compliqué que cela, un roman altruiste où l'auteur a voulu transcrire la vie des indiens. On retrouve ici une opposition idéologique où le mouvement indianiste voit en l'indigénisme une sorte de prolongement du colonialisme, d'acculturation et d'intégration des communautés indiennes dans la société. La différence entre les deux courants est que l'indigénisme est un courant de pensée favorable aux indiens dans des relations asymétriques entre les sociétés nationales et les communautés indiennes avec pour objectif d'intégrer ces derniers. L'indianisme lui est un mouvement indien autonome revendiquant sa cohésion ethnique et une relation symétrique envers les sociétés nationales. Il apparaît avec l'émergence des mouvements nationalistes. Ce sont en tout cas tous deux des courants profondément humanistes, et qui se positionnent contre la violence et le racisme des sociétés latino-américaines.

Bibliographie :

CHEVALIER François, L'Amérique latin de l'Indépendance à nos jours, PUF, Paris, 1977
CUNILL Pedro, L'Amérique andine, PUF, Paris, 1966
DABENE Olivier, L'Amérique latine à l'époque contemporaine, Armand Colin, Paris, 2011
FAVRE Henri, L'indigénisme, PUF, Paris, 1996
FISBACH Erich, La Bolivie, L'histoire chaotique d'un pays en quête de son histoire, Éditions du Temps, Paris, 2001
LAVAUD Jean-Pierre, L'instabilité politique de l'Amérique latine, le cas de la Bolivie, Editions l'Harmattan, Paris, 1991
MANIGAT Leslie, L'Amérique latine au XXe siècle, Éditions du Seuil, Paris, 1991

Rendez-vous en 1947

La création de l'État d'Israël
 
     1947-1949 est un moment charnière de l'histoire d'Israël. Après avoir survécu à deux millénaires d'exil et d'errance à travers les nations, subissant souvent les pires persécutions, l'État d'Israël est devenu, en l'espace de quelques mois, une réalité vivante et dynamique. Un peuple soutenu par le souvenir de ses gloires anciennes : celles des royaumes de Judée et d'Israël, et celles, toujours bien présente, de la Bible. Or, l'épopée biblique reprend vie par les épreuves mortelles de la Shoah, et par la reconquête de la Terre Sainte. Pourtant, six générations n'ont pas été suffisantes pour que ce pays, né d'une résolution de l'assemblée générale de l'Organisation des Nations Unis le 29 novembre 1947, ne s'intègre pleinement dans le tumultueux Proche-Orient. Les Palestiniens s'estimant spoliés par le retour d'Israël refusent de partager leur territoire, et leurs chefs entreprennent une guerre contre « l'occupant sioniste ». Un sionisme dont l'erreur principale a sans nul doute été de minimiser les réalités du monde arabo-musulman et la profondeur de sa résistance à la renaissance d'Israël.
     Depuis son apparition en tant que religion distincte, l'Islam enseigne que le judaïsme est une religion déchue, et le Christianisme adopte la même position pendant des siècles, ne voyant dans les Juifs que les assassins du Christ. Ce lourd passé de préjugés et de ressentiments doit être purgés. Les millions de morts de la Shoah en Europe, et les milliers de victimes des guerres arabo-israéliennes ont inondé de sang la naissance et la reconnaissance de l'État d'Israël. Car ce n'est que sous l'impulsion du pape Jean XXIII que le concile de Vatican II ouvre la voie à la négociation qui aboutie à l'acte fondamentale de reconnaissance mutuelle signé à Jérusalem et à Rome le 30 décembre 1993. Le monde musulman quand à lui ressent la création d'Israël comme une véritable commotion et la seule réaction des dictateurs arabes fut de faire la guerre sans mesurer l'équilibre des forces en présence. Il a fallut un demi-siècle au monde arabe pour accepter Israël, et aujourd'hui, seule la persistance d'un fanatisme minoritaire entrave encore la marche de la paix dans la région.
     Dans ce nouveau rendez-vous, nous allons donc étudier la naissance de l'État d'Israël, de l'apparition du sionisme au mandat britannique, de la proclamation de la création d'Israël au conflit arabo-israélien.
 
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     La naissance du sionisme politique est la première étape pour la formation de l'État d'Israël. Pendant les siècles de son exil, le peuple israélien garde en lui l'espoir d'une restauration de Sion, nom de la colline sur laquelle est bâtie Jérusalem. La Terre Sainte symbolise les espérances du peuple de l'exil dont la prière centrale était pour la reconstruction de Jérusalem. La recrudescence de l'antisémitisme en Allemagne à partir des années 1880 et les mesures discriminatoires dans l'Empire des Tsars mènent ce que l'on appel l'espérance messianique à s'affirmer sur le plan politique. Lilienblum est le premier en 1882 à lancer un appel au retour à l'ancienne patrie. Un élan qui s'accompagne d'un effort de pensée alimenté par des penseurs chrétiens et juifs, et en 1884 a lieue à Katovice la première conférence sioniste qui débouche sur la création de 17 colonies agricoles en Palestine.
     En plein dans l'Affaire Dreyfus, le journaliste viennois Théodore Herzl (1860-1904) rédige à Paris son État Juifs en 1895 dans lequel il prévoit l'organisation d'une Société des Juifs et d'une Compagnie juive qui établiraient toutes les diasporas juives dans la nouvelle communauté de la Terre Sainte. Herzl préside également à Bâle le premier Congrès sioniste en 1897 qui adopte un programme résumé en ces mots : « le Sionisme a pour but de créer pour le peuple juif en Palestine un asile garanti par le droit public ». Mouvement politique atteint par l'action et la négociation, le sionisme compte pas moins de 100 000 adhérents au début du XXe siècle. Néanmoins, les résultats ne sont pas satisfaisants, même si les juifs obtiennent des colonies dans l'Empire Ottoman et dans le Sinaï. À la mort d'Herzl en 1904, le sionisme est devenu une réalité vivante et un peuple commence à renaître à travers un enthousiasme notamment culturel et artistique important.
     Le premier objectif du sionisme d'obtenir d'une charte la libre colonisation de la Palestine se heurte à l'opposition de la Porte. Pourtant, l'effondrement de l'Empire Ottoman et l'occupation de la Terre Sainte par les Britanniques vont permettre à la Grande-Bretagne de définir sa politique palestinienne dans un sens favorable aux ambitions sionistes. Ainsi, le 2 novembre 1917, le secrétaire d'État aux Affaires étrangères, Arthur J. Balfour déclare : « le gouvernement de sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif et fera tous ses efforts pour faciliter cet objectif, étant bien entendu que rien ne viendra porter atteinte aux droits civils et religieux des collectivités non juives en Palestine, ou aux droits et à la situation politique dont les juifs jouissent dans tous les autres pays ».
     L'armée britannique met ainsi fin, en Palestine, à l'occupation turque qui durait depuis 1517, et réorganise l'administration de la Terre Sainte. L'histoire du mandat britannique est celle de l'affrontement entre les intérêts contradictoires des Anglais, des Arabes, et des Juifs. L'Agence juive représente dès 1929 le peuple juif auprès de la Puissance mandataire et des troubles sanglants éclatent dans les années 20 et 30. Alors que le Foyer national juif en Palestine se renforce, et tandis qu'Hitler déchaîne ses fureurs et ses menaces, l'Angleterre donne une interprétation de plus en plus restrictive à la Déclaration de Balfour. C'est un rapport de la Commission Peel en 1937 qui conclue pour la première fois de la nécessité d'un partage de la Palestine en un État Arabe et en un État juif. L'échec des négociations aboutit à la publication du Livre blanc en 1939 qui opère un véritable retournement dans la politique britannique en Palestine. Dès 1940, la Puissance mandataire étrangle l'immigration juive et empêche ses derniers d'obtenir des terres.

(Carte du Proche-Orient à la chute de l'Empire Ottoman)

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      Alors que les juifs se voient refouler de Palestine par la Grande-Bretagne, la seconde guerre mondiale déchaîne contre eux la plus cruelle persécution de toute leur histoire. En 1942, Hitler décide ainsi l'extermination systématique de tous les juifs qui sont en Europe au nombre de 9 500 000 en 1939, et 2 750 000 en 1945. 73,4% des juifs vivant dans les pays occupés par les nazis sont tués, soit environ 6 093 000 personnes. Ces événements opèrent le ralliement au mouvement sioniste de l'unanimité des survivants alors que la guerre marque une période d'apaisement en Palestine même si les frontières restent résolument fermées aux émigrants juifs d'Europe. La conférence sioniste de 1942 condamne avec violence la politique de Londres et réclame le droit à l'immigration illimités et la création en Palestine d'un Commonwealth juif. La résistance juive contre la puissance mandataire s'organise en Palestine autour de la Haganah, armée de protection formée de 60 000 combattants qui s'engagent dès 1943 dans une guerre de harcèlement contre l'administration anglaise. Toutes les solutions proposées au problème palestinien avortent, à peine conçues, et le « terrorisme » se développe à tel point que l'état de siège est décrété en février 1947.
     Winston Churchill constate la faillite complète de l'administration britannique en Palestine et son action active le recours aux Nations Unis décidé par la Grande-Bretagne le 2 avril 1947 : le gouvernement travailliste (traditionnellement soutient des sionistes) ne désespère pas d'obtenir un accord de tutelle sur la Palestine et annonce ainsi sa volonté de remettre son mandat à l'ONU. Une Commission spéciale des Nations Unis pour la Palestine commence ses travaux le 26 mai et dépose son rapport le 31 août. La thèse sioniste fonde alors ses droits sur les liens historiques d'Israël avec la Terre Sainte, droits confirmés pas la Déclaration de Balfour. Les juifs mettent en valeur un pays désertique qu'ils ont colonisé au bénéfice commun des Juifs et des Arabes dont le niveau de vie s'est nettement amélioré. Faits qui ont donné une réalité sociale à l'État juif qui s'engage à garantir à la population arabe la pleine jouissance de ses droits à égalités avec les Juifs. La thèse arabe quand à elle oppose aux juifs les droits imprescriptibles de l'Islam sur une terre conquise depuis l'année 637, les musulmans constituant les deux tiers de la population.
     La Commission écarte au final toute solution extrême et présente onze recommandations accompagnées de deux plans visant l'un à la création de deux États indépendants avec une union économique, l'autre à la création d'un État fédéral. Les États-Unis et l'URSS optent toutes deux, lors de la deuxième assemblée générale des Nations Unis le 23 septembre, pour la première option. Motion acceptée le 29 novembre 1947 en faveur de la création de deux États placés sous contrôle des Nations Unis.

 
    La Commission pour la Palestine issue du vote du 29 novembre 1947, a vite fait de constater son impuissance. Les Arabes refusent de reconnaître son existence et les Anglais s'opposent à toute collaboration avec elle. La puissance mandataire fait ainsi savoir qu'elle abandonne la Palestine le 15 mai 1948 sans prévoir ni transition pour l'avenir du pays, ni approvisionnement au-delà de cette date. Cette passivité de l'Angleterre s'accompagne de l'action passionnée de la Ligue des États Arabes, et les États-Unis, devant la situation, se retirent du projet de partage le 18 mars au profit d'une tutelle provisoire de la Palestine. Pourtant, la volonté des juifs restent inébranlable et dès janvier 1948, le Conseil national des Juifs de Palestine proclame sa volonté de prévoir immédiatement l'établissement d'un État juif organisé conformément à la résolution de l'Assemblée générale des Nations Unis. Huit heures avant la cessation du mandat britannique, David Ben Gourion, président du Comité exécutif de l'Agence juive, déclare à Tel-Aviv la formation en Palestine d'un État juif dénommé Israël qui dès sa naissance, se réclame de l'esprit des prophètes et offre la paix et son amitié à tous les peuples de la terre. Les États-Unis et l'URSS suivis par plusieurs autres nations reconnaissent immédiatement le nouvel État, contre lequel les États arabes déclenchent une guerre qui couvait déjà depuis le 29 novembre 1947. Guerre qui, aujourd'hui encore, n'a pas pris fin.
 
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     Lorsque les premiers sionistes arrivent en Palestine dans la deuxième moitié du XIXe siècle, il se heurtent non pas à une population autochtone, mais à la police turque qui voient en eux une menace pour l'ordre dans un Empire Ottoman décadent. Le mandat britannique et la fondation du Foyer juif politise ensuite le conflit : l'administration anglaise peut alors difficilement éviter, pour mieux asseoir sa domination, de jouer sur les deux tableaux ce qui la fait se retirer en 1948, laissant le pays dans un état chaotique. Les États Arabes voisins d'Israël héritent de la querelle et nous pouvons aujourd'hui affirmer que l'État juif fut sauvé grâce à ses soldats, mais aussi par la conjoncture politique de l'époque et le soutient de la Russie communiste. Bien sûr, le conflit aujourd'hui toujours non réglé, s'étale dans la seconde moitié du XXe siècle avec notamment la campagne du Sinaï en 1956, la guerre des Six-Jours en 1967, la guerre du Kippour en 1973 ou encore la guerre du Liban en 1982. Nous allons ici néanmoins nous intéresser uniquement à la guerre d'Indépendance immédiate après la création d'Israël qui doit à sa naissance subir l'épreuve du feu et du sang.
    La Ligue arabe, fondée au Caire le 23 mars 1945, prêche et prépare ainsi la « guerre sainte » d'un bout à l'autre du monde arabe. Des actes d'agression directs ont lieuxalors même que les britanniques sont encore en Palestine, et du 30 novembre 1947 au 1er février 1948, on dénombre pas moins de 2 778 tués ou blessés. Dès la fin de janvier 1948, « l'armée de libération arabe » s'infiltre en Palestine avec l'accord de la puissance mandataire dans le but de liquider toute présence juive. Devant cet assaut, la résistance juive s'organise autour de la Haganah, armée populaire qui reçoit le secours en armes et en munition de le Tchécoslovaquie. La violence dans certaines régions achève de rependre la terreur parmi les Arabes palestiniens qui s'enfuient en masse ( 600 000 ). La création de deux États distinctes soulève l'opposition des États arabes qui rejètent en bloc la nouvelle situation géopolitique du Proche-Orient. C'est ainsi que l'Égypte et la Jordanie occupent jusqu'en 1967 la plus grande partie des territoires destinés à l'État palestinien sans rien faire pour lui donner naissance, et niant systématiquement le droit à l'existence de l'État d'Israël.
     Ce conflit donne lieu à d'interminable débats à l'ONU qui a vu pour la première fois la création d'un État décidée par la majorité des nations de la terre. Une cession de l'Assemblée générale décide le 16 mai 1948 l'envoi d'un médiateur pour la Palestine, le comte Folke Bernadotte. Et devant la gravité de la situation militaire, le Conseil ordonne une trêve le 17 avril qui donne un répit que les belligérants emploient à compléter leur armement. Le 9 juillet, les combats reprennent et le 17 septembre, le médiateur est assassiné à Jérusalem. Le 7 janvier 1949, le cesser le feu est respecté et une série d'accords dans le monde arabe consacre finalement l'existence de l'État d'Israël et lui fixent des frontières qui tiennent durant une vingtaine d'années. Le 11 mai 1949, l'Assemblée générale des Nations Unis accueillent comme État membre Israël. Jérusalem reste partagée en deux et l'armistice n'est cependant pas la paix. Ainsi, le boycott de l'État juif par l'Égypte de 1950 à 1956 et la création d'un commandement unifié des forces égyptiennes, syriennes et jordaniennes lancent la campagne du Sinaï conquis par les israéliens en six jours.

Rendez-vous en 1572

La Saint-Barthélemy
 
 
    Traumatisme historique, la Saint-Barthélemy reste un des événements majeurs les plus dramatiques et les plus controversés de l'histoire de France. Cette nuit du 23 au 24 août 1572 marque le début de la quatrième guerre de religion. L'événement s'inscrit dans un contexte particulier de troubles internes qui ravagent la vie du royaume dans la seconde moitié du XVIe siècle. Au catholicisme s'oppose le protestantisme, opposition qui débouche sur une guerre civile.
     La religion prétendue réformée, comme on l'a nomme dans les actes royaux, apparaît en 1517 lorsque les étudiants du théologien Martin Luther affichent sur les portes de l'église de Wittenberg une lettre constituée de 95 thèses, constat des dérives de l'Église catholique. Or, le développement du protestantisme dans le royaume franc est particulièrement important, les premières réactions datant du règne de François Ier qui considère la Réforme comme néfaste à son autorité. Ainsi, en 1545, 3000 Vaudois sont massacrés par ordre du roi. Malgré la répression, le protestantisme connait un essor considérable, notamment en milieu urbain, et le roi ne dispose pas d'une administration capable de lutter contre ce fléaux. De grands personnages de la cour se convertissent, le prince du Condé pour n'en citer qu'un.
     Les causes du conflit sont multiples. C'est tout d'abord l'affaiblissement de l'autorité royale depuis la mort du roi Henri II. Ses fils François II et Charles IX sont trop jeunes pour régner et ne peuvent empêcher les français de s'entredéchirer. Entre eux, la reine-mère Catherine de Médicis hésite entre tolérance et répression et cette situation entraine des conflits au sein même de la cour entre les grandes familles aristocrates qui cherchent à s'imposer pour contrôler le pouvoir royal : les Guise qui dirigent le parti catholique, les Montmorency ou les Bourbon, héritiers directs de Saint-Louis. Les problèmes politiques n'arrangent donc pas les questions religieuses qui se posent nous l'avons vus au même moment.
 
    La première guerre de religion est déclarée le 1er mars 1562 par François de Guise avec le massacre de la ville protestante de Wassy. La paix sera imposée par la reine-mère l'année suivante par l'Édit d'Amboise qui organise avec son fils Charles IX un tour de France afin de le présenter à son peuple. La seconde guerre de religion débute quand à elle en 1567 dans un contexte conflictuel entre le prince de Condé et le jeune frère du roi, Henri duc d'Anjou. La paix de Longjumeau est signé en mars 1668, une paix vite oubliée puisqu'en juillet commence la troisième guerre de religion qui se clôt en 1570 par l'Édit de Saint-Germain quand Coligny réussit à bloquer la route du Midi aux catholiques. La paix accorde aux protestants une liberté de culte limitée à certains lieux précis.
     Les guerres, aussi meurtrières qu'indécises et conclues par des édits de pacification immédiatement récusés, se succèdent et installent le pays dans la violence. En 1572, les tensions sont extrêmes et l'idéal néoplatonicien d'harmonie et de paix cher au jeune Charles IX semble ignoré. Le massacre parisien, ville très catholique qui se juge mal-aimé de son roi, est un fiasco total pour celui-ci et une terrible épreuve pour les protestants qui se mettent à douter de leur élection divine. De l'arquebusade de Coligny au « débordement du populaire », Paris plonge dans une semaine de violences extrêmes. Affaiblis mais refusant de s'avouer vaincus, les réformés se présentent désormais comme les défenseurs de la souveraineté populaire face à un pouvoir royal jugé tyrannique.
 

     La paix de Saint-Germain a mis fin aux combats de la troisième guerre de religion mais le royaume n'a pas recouvré le calme. De nombreuses émeutes éclatent un peu partout dans le royaume et l'affaire de la Croix de Gastine alourdit le contentieux entre le roi et la capitale. Une croix est en effet élevée à l'emplacement de la maison rasée de trois huguenots condamnés durant la guerre. Or l'édit de Saint-Germain interdit tout monument commémorant l'exécution d'une personne dans un soucis d'apaisement. Une brutale émeute catholique se déclenche le 20 décembre 1571 quand la croix est retirée, entretenant un climat insurrectionnel à Paris. Or, le 18 août 1572, la ville assiste au mariage de Marguerite de Valois dit la Reine Margot, sœur du roi, avec son cousin Henri de Navarre (futur Henri IV) dans un climat lourd de menace. Il doit sceller l'alliance entre deux grands lignages et le rapprochement des catholiques et des réformés, chose qui scandalise les parisiens.
     Le 22 août, au cœur de Paris, l'amiral Gaspard de Coligny, que l'on dit être le père adoptif du roi, est victime d'une arquebusade. Le tireur rate son coup mais le blesse superficiellement au bras. L'attentat plonge la capitale dans une vive effervescence. Les protestants sont furieux, Coligny est soigné sur ordre du roi par son médecin personnel, Ambroise Parré. Le roi promet toute la lumière sur cette affaire, mais trente-six heures plus tard, Coligny est assassiné. Une décision royale d'éliminer les chefs huguenots les plus dangereux a en effet été prise au sein du Conseil royal et avec l'accord de Catherine de Médicis. Dans la nuit du 24, les nobles protestants de Paris sont pourchassés et exécutés. Mais les catholiques parisiens poursuivent le massacre, cherchent les protestants, les assassinent, outrageant leurs corps et leurs cadavres sont noyés dans la Seine, ce durant six jours. Un chroniqueur contemporain des faits dira que « le peuple travaillait à tuer ses voisins ». La cité est au paroxysme d'une folie meurtrière pour la plus grande gloire de Dieu. Le roi vient d'ordonner la mise à morts des chefs huguenots, mort qui relève de la loi divine à laquelle le chrétien doit obéir. Ainsi raisonnent les bourgeois fanatiques de la milice et les soldats de la ville. Des soldats d'élites qui, menés par leurs capitaines vont encadrer le peuple massacreur, le conduire au combat.
 
 
    Il y a de nombreuses interprétations possible de la Saint-Barthélemy, du fait même des sources dont les historiens disposent. L'événement a ainsi donné naissance à une retentissante querelle entre Janine Garrisson, Denis Crouzet et Jean-Louis Bourgeon. La documentation relative à la Saint-Barthélemy comprend des mémoires de témoins, des récits de rescapés et des documents officiels. Des mémoires qui sont la plupart du temps parasités par la volonté de proposer une explication immanente de l'événement.
     L'attribution du massacre au roi repose sur deux faits. D'une part, ce sont les propos tenus par les ducs de Guise qui crient dans la capitale « le roi le veut ; tuez-les tous ». Et d'autre part, c'est la déclaration même du roi devant le Parlement le 26 août où il déclare que le grand nombre de protestants présents dans la capitale ourdissaient un complot contre lui. Ces faits qui accrédites la thèse d'un roi maître du jeu sont fragiles. En effet, on sait que dès le déclenchement de la Saint-Barthélemy, Charles IX a envoyé des ordres en province exigeant que les cités protègent les protestants en rappelant les décrets de l'édit de Saint-Germain (et il était temps car d'autres Saint-Barthélemy ont lieues à Bourges, Angers, Saumur, Troyes, Rouen, Lyon ou encore Albi). De plus, il fait circuler à Paris dès le 24 août un mandement dans lequel il ordonne la cessation de toutes violences.
     À la lecture des pièces officiels, il apparaît donc que Charles IX ai changé d'avis entre le 24 et le 26 août, condamnant les troubles avant d'en assumer la responsabilité. Jean-Louis Bourgeon évoque la volte-face du roi face aux événements, Paris échappant à son contrôle. L'historien moderniste refuse l'interprétation classique d'un massacre du populaire, mais y intègre toutes les couches de la population, y compris les élites très catholiques. Cette thèse ouvre le champs des possibles à d'autres interprétations et récuse celle quasi romanesque d'une volonté propre à la reine machiavélique Catherine de Médicis, parce que femme, italienne, et voulant dominer un Charles IX faible qui cède devant les abjurations larmoyantes et théâtrales de sa mère.
     En faite, la décision d'exterminer les chefs nobles protestants fut avant tout un choix politique débattu nous l'avons dit au sein du Conseil. Or, il peut donner lieu à deux lectures possibles. Soit les catholiques intransigeants qui dominent le conseil ont réussis à convaincre le roi, soit celui-ci partage les mêmes idées et voit dans un « coup de majesté » l'occasion de rétablir son autorité mise à mal.
 

     En dépit de zones d'ombre et au-delà de ses multiples décodages possibles, la Saint-Barthélemy est à l'évidence un revers politique pour Charles IX. Soit il se trouve dépassé par l'insurrection parisienne, doit en endosser la responsabilité et couvrir les instigateurs du massacre. Soit il en est lui-même le responsable. Mais les protestants sont aussi anéantis que lui. Ils ont subis des agressions meurtrières et un grand nombre émigre vers Genève, les Iles Britanniques ou le Palatinat. Par le fer et par la plume, les réformés répliquent à leurs assaillants et en particulier à Charles IX, souverain désormais honni. Le parti protestant est serte décapité, mais dès novembre 1572, une résistance militaire prend corps dans le sud du royaume. Des villes deviennent les foyers de la réorganisation des forces militaires grâce à la mobilisation de leur milice. Ces cités, notamment La Rochelle, Sancerre ou Sommières, s'apprêtent à défier l'autorité royale. C'est la quatrième guerre de religion.
 
Bibliographie :
 
A. JOUANNA, La France du XVIe siècle 1483-1598, PUF, Paris, 1996, 710p.
M. CASSAN, La France au XVIe siècle, Armand Colin, Paris, 2005, 218p.
N. Le Roux, direct. J. Cornette, Les guerres de religions, Histoire de France, Belin, Paris, 2010, 607p.
J. GARRISSON, 1572, La Saint-Barthélemy, Editions Complexe, Bruxelles, 2000, 219p.
T. WANEGFFELEN, Catherine de Médicis, le pouvoir au féminin, Payot, Paris, 2005, 445p.

Rendez-vous en 1485

Une Nouvelle dynastie
 
 
    1485 est une date qui fait incontestablement figure de tournant dans l'histoire du Royaume d'Angleterre. D'abord parce qu'elle l'inscrit définitivement dans les évolutions futurs du « beau » siècle Tudor, ensuite parce qu'elle marque la fin des dérèglements politiques de la seconde moitié XVe siècle. À une période de troubles et de guerres civiles et fratricides suit celle d'une apogée dynastique, celle des Tudors. S'il faut attendre le XVIIe, et plus encore le XVIIIe siècle pour que s'établisse le véritable État moderne qui fera de l'Angleterre la première puissance du monde, les Tudors posent les bases indispensables à la réussite ultérieure. C'est ainsi que l'historiographie a très longtemps fait de ce XVIe siècle celui de la re-naissance d'une glorieuse monarchie, celui de la monarchie tempérée et de l'anglicanisme, brutalement stoppée par l'expérience des Stuarts papistes et absolutistes du siècle suivant.
     Fondateur de sa dynastie, Henri Tudor arrive sur le trône en 1485, mettant ainsi fin à la Guerre des Deux-Roses qui déchire le royaume depuis trente ans. Souvent présenté comme le pacificateur de l'Angleterre et le premier promoteur d'une royauté centralisée et efficace, Henri VII prend le pouvoir dans un contexte de désagrégation du pouvoir royal. Mais beaucoup s'interrogent aujourd'hui sur la nature exacte de son régime et sur la réalité de sa réussite. Sans déborder de trop sur la suite de son règne et sur ses successeurs qui feront l'objet d'autres rendez-vous, nous nous bornerons ici à expliquer le contexte très particulier d'accession au trône de Henri Tudor, et la mise en place d'une dynastie qui devra lutter contre le souvenir cuisant du passé, mais aussi contre son repli politique et culturel.
     Et avant de commencer, je vous propose cet arbre généalogique qui vous aidera à suivre :

    Henri Tudor né le 28 janvier 1457. Son père, Edmond Tudor comte de Richmond n'est autre que le demi-frère du roi Henri VI, tandis que sa mère, la jeune Margaret Beaufort est l'arrière petite-fille d'Édouard III (voir arbre généalogique). Ses droits légitimes sur la Couronne sont minces, pourtant, il est considéré à la mort d'Henri VI comme l'héritier mâle de la maison royale de Lancastre. La nouvelle accession au trône d'Édouard IV de la maison royale d'York le pousse à fuir pour la Bretagne en 1471.
    Après une tentative infructueuse en 1483, et alors qu'il est désormais le seul prétendant sérieux à la Couronne d'Angleterre, il obtient l'aide financière de roi Charles VIII de France et débarque le 7 août 1485 au pays de Galles. Le 22 août, à Bosworth, il rencontre les armées du roi Richard III. Henri remporte la bataille et le roi est tué au combat. La volonté divine offre le trône d'Angleterre à une nouvelle dynastie qui règne jusqu'en 1603. Mais pour bien comprendre l'enchainement de ces événements, il est indispensable de connaître, dans ses grandes lignes au moins, la guerre des Deux-Roses dont Henri VII met fin par sa victoire à Bosworth.
   
    Tout commence en 1399 quand le roi Plantagenêt Richard II se fait déposer par son cousin Henri Bolingbroke, futur Henri IV. Alors que la Couronne doit revenir aux héritiers du deuxième fils d'Édouard III, Lionel d'Anvers, Henri Bolingbroke se fait couronner le 13 octobre 1399 peu après l'emprisonnement de Richard. Trois rois Lancastriens règnent donc en Angleterre les uns après les autres, de Henri IV à Henri VI couronné en 1422. Une période qui ne va pas sans oppositions diverses, en particulier de la part des Yorkistes, autre branche de la famille royale issue d'Edmond de Langley. Henri IV se montre incapable de mater les révoltes et de maintenir l'ordre public, tandis qu'Henri V retrouve la confiance du Parlement de Westminster et gagne de nombreuses batailles militaires, la plus connue étant sans nul doute celle d'Azincourt en 1415 où la noblesse française est décimée. Elle aboutie à la prise de la Normandie et à faire du roi d'Angleterre l'héritier du trône de France (un rêve de double monarchie qui ne dure guère). Mais il doit aussi faire face à une rébellion menée par le fils d'Edmond de Langley, Richard qui sera exécuté en 1415.
     A la mort du roi, Henri VI n'a que neuf mois et ce sont ses oncles qui gouvernent. Il se laisse dominer dès les années 1430 par une faction composée de membre de son entourage particulièrement impopulaires, William de la Pole et Edmond Beaufort notamment. Les difficultés rencontrées dans la Guerre de Cent Ans, la perte de possessions anglaises sur le continent, les troubles mentaux du roi et la volonté « d'éliminer » les mauvais conseillers de celui-ci, autant d'éléments qui expliquent la reprise des questions sur la légitimité des Lancastres.
    La vie politique tend dans les années suivantes à se polariser autour du roi et de ses conseillers d'un côté, de l'autre autour de Richard duc d'York qui devient en mars 1454 protecteur et principal conseiller d'Henri VI alors malade. A la guérison du roi et se sentant menacée, la faction Yorkiste recourt à la force et combat le roi à Saint-Albans le 22 mai 1455. La « première bataille de Saint-Albans » ouvre une série de luttes violentes entre les clans aristocratiques connue sous le nom de guerre des Deux-Roses, par référence aux emblèmes des deux familles impliquées dans le conflit dynastique : la rose rouge des Lancastre et la rose blanche des York.
 
 
    La reine Marguerite d'Anjou prend la tête des opérations, mais les succès sont sans lendemain et le roi est capturé à l'été 1460. En dépit de la victoire lancastrienne de Wakefield où Richard duc d'York est tué, son fils monte sur le trône sous le nom d'Édouard IV avant de vaincre définitivement ses adversaires à Towton. Il se présente comme le sauveur d'un peuple opprimé tandis qu'Henri VI se réfugie en Écosse. Mais rapidement, Édouard mécontente son allié Richard Neville, comte de Warwick dit le « faiseur de roi » en se mariant à Elizabeth Woodville et en accordant ses faveurs à cette famille. Warwick, avec l'aide de la France organise un coup de force et rétablit Henri VI sur le trône en 1470. Édouard, réfugié en Hollande prépare une invasion et écrase l'armée lancastrienne à Tewkesbery en 1471. Le fils d'Henri VI y trouve la mort et le roi disparaît peu de temps après. Édouard IV monte donc une seconde fois sur le trône. Il contrôle le Parlement et sa noblesse, assassine ses adversaires, et devient le maître du royaume.
     À la mort d'Édouard IV en 1484 son frère Richard est nommé protecteur du royaume et s'empare de l'héritier du trône alors âgé de 12 ans. Il fait en sorte de devenir l'unique héritier et est couronné en octobre sous le nom de Richard III. Pourtant, il se créé un nouveau rival en la personne d'Henri Tudor qui débarque en Angleterre l'année suivante et remporte la bataille de Bosworth. Voulant être celui qui met un terme à la guerre civile, il adopte un emblème mêlant la rose des Lancastres et celle des Yorks :

    A son couronnement, Henri VII est loin d'être un héritier légitime et rien ne garantit que ses enfants accéderont un jour au trône. Il faut donc pour le nouveau roi s'imposer et asseoir une autorité souvent discutée. Il comprend très vite que la sécurité de sa dynastie dépend autant du respect et de la crainte qu'il saura inspirer que de la paix civile à reconstruire. Il n'aura de cesse d'éviter de nouveaux soubresauts à son pays. Patient, austère, obstiné, rigoureux mais aussi rusé, il s'évertue à faire correspondre son propre intérêt et celui de ses sujets, paix et stabilité devenant les mots clés de son règne.
     Afin de clore la guerre fratricide, il épouse Elizabeth d'York, fille d'Édouard IV réduisant ainsi les risques de contestations que le parti de la « rose blanche » aurait pu provoquer. Mais le jeux politique des complots, rébellions et révolutions n'a pas véritablement cessé. Certains historiens considèrent ainsi que la dernière grande bataille de la Guerre des Deux-Roses se déroule en 1487 à Stoke. La conspiration s'organise autour d'un certain Lambert Simnel qui serait en vérité le fils d'Édouard IV pourtant mort quelques années plus tôt à la Tour. Les meneurs yorkistes sont exterminés tandis que Simnel est fait prisonnier.
     Mettant en place une politique faisant quasi disparaître les grands magnats aristocrates qui avaient causé tant de problèmes à ses prédécesseurs, Henri VII choisi et fidélise un personnel politico-administratif de grande valeur. Entre 1485 et 1509, moins de vingt personnes se succèdent aux postes clés du pouvoir. Le roi exerce un contrôle effectif sur le gouvernement et sur le Parlement qui lui est totalement soumit. Pourtant, il n'innove guère. Certaines de ses transformations sont en réalité des retours en arrières.

 
     L'accession des Tudors au trône d'Angleterre à la fin du XVe siècle marque l'avènement d'une époque nouvelle de l'histoire du royaume : c'est la fin du féodalisme et le début d'un pouvoir royal fort qui s'appuie sur le Parlement ; le début de la montée en puissance des classes moyennes et d'une économie de type capitaliste ; le renouveau des idées, avec d'une part le développement de l'humanisme et la redécouverte de l'antiquité classique, et, d'autre part, la propagation des doctrines protestantes venue du Continent. Car n'est-ce pas à la même époque, sous le règne d'Henri VIII, que prend fin la suprématie de l'Église catholique romaine en Angleterre et que s'affirme une indépendance religieuse nationale, l'anglicanisme qui marque le pays à jamais ? Pourtant, sans minorer ces évolutions, il est indispensable de les tempérer. Ce « mythe Tudor » et la victoire de Bosworth présentés comme un tournant décisif appartient à une tradition historiographie Whig (libéraux) du XIXe siècle où la notion de progrès est fondamentale. Or, depuis les années 1970, certains auteurs ont remis en cause le « tournant » 1485 et ont insisté au contraire sur les continuités avec le reste du XVe siècle. On peut néanmoins affirmer qu'au final, 1485, bien plus que le couronnement d'une nouvelle dynastie, représente la fin de la période médiévale et le début de la Renaissance anglaise.
 
Bibliographie :
 
Jean-Pierre MOREAU, L'Angleterre des Tudors (1485-1603), Ploton Éditeur, Paris, 2000, 207p.
Bernard COTTRET, Eveline CRUICKSHANKS, Charles GIRY-DELOISON, Histoire des Iles Britanniques du XVIe au XVIIIe siècle, Nathan Université, Paris, 1994, 272p.
Stéphane LEBECQ, Histoire des Iles Britanniques, PUF, Paris, 2007, 944p.