jeudi 12 janvier 2012

Rendez-vous en 1443

Le jeu du Papegault

    Nous partons aujourd'hui en 1443 à la rencontre d'une activité fort peu commune, celle du Papegault. Pourquoi 1443 alors que nous avons ici à faire face à un « sport » dont les origines remontent au XIIIe siècle ? Parce que c'est à cette date que le Papegault est autorisé et organisé de manière officielle dans la ville de Rennes. Légiféré par les ducs de Bretagne, nous allons en effet, après en avoir présenté les origines et les spécificités, donner un exemple de pratique de cette activité en Bretagne. Cela à travers un document d'archive particulièrement précieux et conservé actuellement aux Archives municipales de Rennes (www.archives.rennes.fr) : Rôle des arquebusiers de Rennes, 1532-1584.


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    Résumé en quelques mots, voilà comment l'on pourrait définir le Papegault : un jeu d'adresse destiné d'abord aux archers et aux arbalétriers, ensuite réservé aux arquebusiers. Il consistait à tirer sur un perroquet en bois placé en hauteur afin de le faire tomber. Le droit de pratique de cette activité était un privilège directement octroyé par le roi et son intérêt majeur était d’entraîner les hommes pour la guerre.
    Le Papegault apparaît après la fondation de tout une série de compagnies d'archers et d'arbalétriers au court des XI-XIIe siècles dans les « bonnes villes » du nord de la France. Compagnies qui vont connaître un grand essor lors des troubles de la guerre de Cent ans puisqu'il en va de la défense des villes. Le Papegault devient ainsi progressivement la première « société sportive ».
 
Le jeu du papegaut, enluminure du XVIe siècle.

     Le papegault est donc un « honnête » divertissement dont les origines se trouvent parmi les « milices bourgeoises » de protection des villes et des villages qui sont constituées afin de protéger les habitants des incursions de soldats ou de bandes armées. Des compagnies qui se composaient donc de l'élite de la bourgeoisie, la noblesse toutefois ne dédaignait pas de s'y faire incorporer. À la Renaissance, ces milices sont organisées en bataillons et en compagnies dirigés par des officiers. Ce sont elles qui vont organiser la pratique du papegault et le pouvoir royal va y trouver de nombreux tireurs bien entraînés pour ses armées et la défense du territoire.
   Ce jeu se pratiquait chaque année, généralement au moment du printemps et il portait souvent le nom de jeu du « tir à l'oiseau » ou du « tir du Roy ». La question se pose de savoir d'où provient le nom de papegault. Le mot papegault désigne en ancien français le perroquet, idéal pour constituer une cible grâce à ses couleurs vives. Dans l'activé ici décrite, on utilisait bien sûr un oiseau en bois ou en métal, fixé sur une lance arrimée par des haubans soit au sommet d’une tour, soit placé en haut d’un grand arbre. Le jeu consistait ensuite pour tous ceux qui y étaient autorisés, à tirer à l'arc ou à l'arbalète en direction de ce « perroquet ». Mais dès 1705, seuls les arquebusiers sont autorisés à la pratique de ce jeu.

Le jeu du papegault, gravure sur bois du XVIe siècle.

    L'ordre de tir était également établit par les compagnies d'archers et d'arbalétriers. En règne générale, c'est d'abord le Roy ou l'Empereur du précédent jeu (titre donné au vainqueur du tournoi), puis le capitaine de la ville, les officiers, les chevaliers par ordre d'ancienneté, et enfin les archers, arbalétriers et arquebusiers également par ordre d'ancienneté. Le vainqueur rempotait le droit de représenter la confrérie au cours de l'année suivante et de recevoir tous les honneurs. Il recevait aussi ce que l'on appelait le "joyau du Roy", timbale gravée à son nom. Il bénéficiait enfin de certaines exemptions en matière fiscale, notamment pour le vin : des ordonnances ducales rendues en 1407 et 1471 ainsi qu'une lettre patente de Charles IX en décembre 1473 relative aux droits du jeu de l’arquebuse et arbalète, avaient en effet accordé à celui qui abattrait le papegault l’affranchissement des tailles, aides, dons, et emprunts. Privilèges qui ont parfois conduis à des procès : les fermiers des aides (impositions indirectes portant principalement sur les boissons) n’entendaient effectivement pas souffrir d'un tel manque à gagner.
 

Retour du vainqueur du jeu de papegaut, d'après une gravure de Mariette, XVIIIe siècle.

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     Dès le XVe siècle, on trouve le papegault en usage dans la plupart des provinces de France : Auvergne, Bresse, Dauphiné, Picardie, Lorraine, Lyonnaise, Gascogne, Franche-Comté, Normandie, Provence, Savoie, Anjou et Bretagne. Ainsi à Angers, les jeux de l’arc, de l’arbalète et de l’arquebuse sont déjà pratiqués en 1423, lorsque la duchesse d’Anjou Yolande d’Aragon donne aux joueurs une maison et un jardin situés au bas de la place des Halles. Confirmation faite par le roi le 12 décembre 1445 de ce don fait aux « arbalestriers et frères de la confrairie du jeu de l’arbalestre de la ville d’Angers d’une maison et jardin pour leur servir d’arsenal à mettre leurs armes et en outre de la somme de 10 sols par semaine à prendre sur le produit de la cloison ».

Pour la Bretagne, Nantes obtient un jeu du papegault en 1407 et il est, nous l'avons dis plus haut, formalisé à Rennes en 1443, même s'il semble attester depuis le XIVe siècle. On sait ainsi que Du Guesclin avait remporté dans sa jeunesse le prix du papegault à Rennes au champ Jacquet. Pour illustrer cela, nous proposons ici une double page issu d'un vieux manuscrit conservé aux Archives municipales de Rennes et qui présente cette pratique et surtout les personnes autorisées dans la ville entre 1532 et 1584 :


 
    Pour la première page, il s'agit vraisemblablement de la Tour du Chêne à Rennes (encore visible rue Nantaise), où se tirait le papegaut de 1460 à 1680. La seconde page quand à elle nous présente Josselin Chapellier et Andre Boullay comme étant les premiers prévôts de la confréries des arquebusiers en 1532 autorisés à la pratique du papegault. S'en suit la liste des prévôts qui prennent leur suite. Voici une transcription intégrale du passage :

Rolle des
nons e surnons des Harquebusiers
de Rennes commance par
deffuncts Josselin Chappelier
et Andre Boullay Premiers
Prevosts de la fraerie des dicts
Harquebusiers au moys de
May lan mil cens &
trante deux

Ausquels est permys Jouer et
tirer de l'arquebuse a lenseigne du
Papegault Et aultres joyaux
Loyaux d'arquebuse faict reference
Sur aultre rolle yceluy reforme par
Jan Deservaude Escuyer sieur de
la villorce et Me Jan Jamon
Lors Provosts en lan mil cinq cens
Soixante Quinze et le presant
Reforme par Me Pierre odion Sr
de tatelin et Me Jacques Mellin
Provost en lan presant mil
Cinq cents quatre vingts
quatre

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     Exercice populaire, la fête du tir du papegault qui a lieu une fois l’an, vers le mois de mai, est précédée par des entraînements qui avaient lieu presque toute l'année, ordinairement le premier dimanche de chaque mois. Le costume des participant varié selon les époques. Ainsi en 1668, il consiste en un haut-de-chausse large et plissé avec des boucles retombant de la ceinture de buffle, une petite veste ou justaucorps à manches courtes, des chemises dont les manches elles se resserrant sur les bras, et un chapeau de forme ronde à bords plats. En 1728, les officiers sont habillés de draps écarlates bordé d'un galon d'or, de même pour les brigadiers mais avec un galon d'or sur la manche et la poche. Les chevaliers ont eux un habit simple, un chapeau bordé d'un galon et avec une cocarde blanche. Mais dès le milieu du XVIIe siècle, la plupart des privilèges des compagnies leurs sont relevés.
     Rapidement déjà, la participation au papegault est réglemente.Outre le fait qu'il s'agisse essentiellement de bourgeois urbains, parfois de nobles, d'autres restrictions apparaissent. En Bretagne ainsi, en 1544, où une ordonnance ducale interdit aux prêtres la faculté de s'enrôler parmi les chevaliers du papegault. Autre exemple à Nantes, des privilèges postérieurs à la compagnie de Nantes disait qu'il n'y avait que les gouverneurs, présidents et seigneurs de la cour pourraient tirer le perroquet. A Angers et à l’issue de multiples procédures engagées dans les années 1620 et 1630, la Cour des aides a obtenue la réduction du nombre des bénéficiaires. Par arrêt du 1er janvier 1636, les trois compagnies d’archers, d’arbalétriers et d’arquebusiers ont ainsi été réduites à une seule. Elles ne peuvent plus alors nommer qu’un seul roi par an, à qui il est également interdit de céder son privilège à quiconque. Certains le revendaient en effet à un tiers pour des sommes importantes, 180 livres en 1630.
      Mais alors que les mentions concernant le papegault sont nombreuses dans les registres de délibérations municipales du royaume dans la première moitié du XVIIe siècle, les sources deviennent muettes à son sujet par la suite. Après les troubles de la Fronde, la paix revenue et la police bien assurée, le besoin d’une compagnie de tireurs se fait effectivement moins sentir. Le jeu attire moins, du fait de la restriction des privilèges. Le jeu du papegault disparaît ainsi progressivement au cours du XVIIIe siècle. Pour quelles raisons ? Nous l'avons dis, c'est la fin des troubles entre seigneurs, des razzias de bandes armées, mais aussi la constitutions de compagnies de maréchaussée, les gendarmes.

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